En attendant Gustav

Publié le 03 septembre 2008 par Gaspard_w


On attendait Gustav. Une ligne noire sur l’horizon, des rouleaux d’écume sur le sable jaune.
La mer, toujours turquoise.
On a fermé les fenêtres, verouillé les portes, rangé les papiers, l’argent, ce qui craignait l’eau,
le vent, tout ce qu’on serait content de retrouver intact quand la tempête serait passée.

 

Quand on a eu fini de vider, de mettre en hauteur, quand on a été prêts, on s’est assis en ligne,
côte à côte, face à la mer et l’attente a commencé.
Au fond, on avait tous envie de voir ce que ça pouvait donner la gran tourmenta, le monde qui
s’envole, notre hôtel sous les eaux. Moi, je fixais les touristes de l’oncle Sam, à leur fenêtre,
sur leur balcon, contemplant un problème que leurs dollars ne pouvaient pas régler. Une semaine
de vacances, deux, tout un programme noyé. J’avais envie que Gustav prenne son temps et que
ces rois du monde, pleins de désespoir se mettent à sacrifier leurs billets, leurs fierté et leurs
vierges à l’océan. Surtout j’attendais les vierges. Pour l’esthétisme.

 

Avec l’attente est venu l’ennui. L’ennui imperceptible mais pire que le mauvais temps. D’abord
c’est les filles qui ce sont disputées pour un garcon qui n’était pas moi, pour une bêtise,
ce n’était pas moi. Benjamin tournait en rond. C’etait mon dernier jour de boulot. Pour rire Mike
m’as bousculé. J’ai dû dire Don’t do it again, mais sans rire. Il a recommencé, alors je l’ai
frappé, droit, sous l’oeil. Une frappe de boxeur a dit Vince. J’ai frappé Mike, mon colocataire,
fort, à m’en faire mal au poing, à le faire saigner. C'était con. Il est tombé sur le dos. Ca m’a fait
du bien, sur le coup. Je n’ai pas supporté les regards. Je n’ai pas fini ma dernière journee, j’ai pris
mon sac, je suis parti.
Sans argent, j’ai dû marcher, sur mes semelles en plastique, sur le bas-côté, sous le soleil
blombé. Face au trafic, pour voir les voitures arriver. Chevrolet, Ford, de gros camions chromés,
comme dans un film j’ai pensé. J’ai suivi la route, lentement. Il faisait épouvantablement chaud,
le Mexique est un pays brûlant. Une demi-heure, trente sept degrés, la peau sèche, déshydratée,
j’ai commencé à monologuer Agua, agua, quelques pas sur la ligne jaune et puis encore, à voix
haute, Agua, agua. Pas de boutique, pas d’Oxxo.
Sur les autoroutes du monde entier, il n’y a rien d’autre que des chauffeurs qui ne s’arrêtent pas.

Je suis trop vieux pour voir des formes dans le ciel. Je vois des masses blanche et n’y recconais
que l’évidence plate du phénomène climatique. Les nuages.
Quand même après deux heures, le nez en l’air, Lonely Soul d’Unkle dans la tête, sûr de mourir,
j’ai eu un reflexe humain, j’ai pensé à Dieu. Sans rien de concret, simplement déçu de ne pas
y croire. Je me suis demandé si lui croyait en moi mais ça m’as paru difficille vu que, bien sûr,
il n’existait pas.
Sur la question religieuse, j’ai conclu rapidement. Je m’en foutais, j’avais soif. Agua, agua,
le ciel est devenu noir. Agua, agua, un coup de tonnerre. Je me suis arrêté. J’ai levé la tête. 
Dieu ? Mais c’était pas Dieu, c’était Gustav.

Sous les tropiques,  il n’y a pas de début de pluie, de premières gouttes. Si proche de
l’équateur, il n’y a pas de goutte, juste une tonne d’eau qui rejoint la terre dans un torrent
vertical. Un instant, j’étais trempé, les yeux et la bouche remplis de pluie tiède, et même tiède,
j’ai vite eu froid. Des kilomètres de route ont fondu dans le brouillard gris, la Riveria Maya
disparu derrière un mur aquatique, le vacarne urbain étouffé sous le bruit sec du tonnerre,
le sifflement du vent.

Mécaniquement, sans alternative raisonnable, je me suis remis à marcher, trébuchant dans
les flaques longeant la route invisible. Plus de Ford, plus de Chevrolet. Des rangées de phares,
de lumières flottantes et le souffle violent des camions m’écartant de la chaussée. Le sol était
glissant. J’ai retiré mes chaussures, les ai gardées à la main sur une dizaine de mètres puis
jetées. J’étais sûr d’être encore loin, il m’a semblé plus logique de marcher pieds nus.
Sans trop savoir pourquoi, j’ai aussi pensé que, comme ça, j’irais plus vite si je devais courir.