Yvain revient au miroir qui les intriguait tous les deux, avec Elaine: - cette image énigmatique rejoint mon idée que la réalité n'est plus simplement ce que j'observe directement, mais elle inclut des phénomènes invisibles à l'œil nu... Je pense, dit-il, aux interactions quantiques et aux forces gravitationnelles, qui modélisent, en partie seulement, notre perception du monde.
- En t'écoutant, ajoute Elaine, je rapprocherais bien ces aspects réels du monde, qui ne sont pas directement observables, aux ''Formes '' antiques...
Mais, sans y avoir trop réfléchi, je pensais que la manière dont nous en rendons compte, par des équations par exemple, dépendait de nous, de notre cerveau, de ce que nous apprenons...
Les nombres ou les formes géométriques, sont des entités idéales et abstraites. Ma question c'est: Ces objets mathématiques, existent-ils indépendamment de notre esprit , ou sont-ils des constructions humaines?
Et je rajoute, dit Elaine, si ces objets mathématiques, sont découverts et non inventés, les mathématiciens peuvent-ils témoigner d'un lien particulier entre ces '' Formes '' et leur intuition ?
Ramanujan
- Oui... répond Yvain. Je pense à présent, à ce curieux personnage qu'est Ramanujan, un génial mathématicien indien autodidacte, qui avait la conviction que ses découvertes mathématiques étaient révélées par une source divine! Il ne se fiait - disait-il - qu'à son intuition et à ses visions pour formuler des théorèmes et des formules, dont beaucoup se sont révélés corrects et profonds.
Elaine connaissait l'histoire de ce mathématicien indien, invité à Cambridge, du fait que son père - après la première guerre - l'avait rapidement rencontré, grâce à Russell... ( cf, le chapitre: Lancelot de Fléchigné - Cambridge - Russell )( Tome 4)
Yvain, qui reçoit les félicitations de Lancelot, pour prendre avec beaucoup d'application la Quête en chemin, nous explique comment les Universaux trouvent un écho important dans ses propres travaux de mathématiques.
Il commence, avec beaucoup d'à propos, par cette citation de W. V. O. Quine, il écrivait :
" Les trois principaux points de vue médiévaux concernant les universaux sont appelés par les historiens réalisme, conceptualisme, et nominalisme. Pour l'essentiel ces mêmes trois doctrines réapparaissent dans les vues d'ensemble du vingtième siècle sur la philosophie des mathématiques sous les nouveaux noms ( à côté de celui de réalisme ( Cantor) de logicisme, intuitionnisme et formalisme. "
Après la querelle médiévale des universaux s'est ouverte à cause de Cantor, peut-être, une querelle similaire, la Querelle des Mathématiques. Dans l'optique de notre intérêt, il s'agit bien d'une querelle métaphysique.
Georg Cantor (1845-1918), mathématicien allemand, s'est heurté à l'attitude hostile de ses contemporains. Cependant, ses idées ont finalement été reconnues comme révolutionnaires et ont profondément influencé les mathématiques modernes. Il sépare ''infini potentiel '' ( indéterminé) de l'infini actuel comme par exemple '' l'ensemble de tous les nombres entiers finis '', cet ensemble, précise-t-il, est une chose en soi . ''L'infini actuel'', dit-il, est un infini parmi d'autres, avec une hiérarchie complexe de différents types d'infinis.
Cantor pense que les objets mathématiques, y compris les ensembles infinis, existent indépendamment de notre pensée. Cette position est en ligne avec le réalisme mathématique, qui soutient que les entités mathématiques ont une existence objective et indépendante
Paul Bernays ( 1888-1977 - mathématicien suisse) défend un logicisme : les concepts mathématiques peuvent être définis en termes logiques, pour lui les mathématiques sont une activité de l'esprit qui réagit à des situations, plutôt qu'un simple réservoir de connaissances. Il rejoint en un sens, Bertrand Russell.
L'intuitionnisme est défendu par L. E. J. Brouwer : Les objets mathématiques n'existent pas indépendamment de notre pensée, Ils sont une création libre de l'esprit humain. Le point intéressant concerne '' l'Infini '' :l'intuitionnisme rejette l'idée de ''l'infini actuel'' de Cantor. Par exemple, un nombre réel ne peut être représenté comme une suite infinie de décimales que si nous disposons d'un moyen effectif de calculer chacune de ces décimales.
Le formalisme ( David Hilbert ) est une position philosophique en mathématiques qui soutient que les mathématiques consistent essentiellement en la manipulation de symboles selon des règles formelles, sans se préoccuper de la signification ou de l'existence des objets mathématiques eux-mêmes, en particulier des infinis...
Ces trois courants s'opposent au réalisme de Cantor en ce qui concerne la nature et l'existence des objets mathématiques. Cantor voyait les ensembles infinis comme des entités réelles et indépendantes.
Et aujourd'hui - dans les années 60 - 70, quels sont les scientifiques qui seraient dans la ligne du réalisme mathématique ?
Kurt Gödel
Kurt Gödel, autrichien ( 1906-1978), il a collaboré à Princeton avec Albert Einstein. Gödel a travaillé sur les fondements des mathématiques et a prouvé des théorèmes d'incomplétude - c'est à dire que la cohérence et la complétude des systèmes mathématiques ne peuvent être ni prouvées ni réfutées à partir des axiomes de ce système.- et ont eu des implications profondes pour la théorie des ensembles. Gödel était un réaliste platonicien, il pense les objets mathématiques sont découverts plutôt que créés; ils sont découverts à travers la recherche et la logique. Les objets mathématiques, seraient indépendants, tout comme les objets physiques tels que les planètes ou les atomes.
Roger Penrose (1931- ) physicien et mathématicien britannique, croit que les mathématiques existent indépendamment de l'esprit humain et qu'elles révèlent des aspects fondamentaux de la réalité. Il utilise les théorèmes de Gödel pour argumenter que la conscience humaine ne peut pas être entièrement expliquée par des systèmes formels ou des algorithmes
Michael Atiyah (1929-2019) un mathématicien britannique qui a contribué de manière significative à la topologie et à la géométrie a souvent parlé de la beauté et de l'élégance des mathématiques.
Elaine réagit: - Prenons, la mathématique comme un langage : elle décrit la réalité en représentant des faits et des objets. Mais, si on va en profondeur, de notre relation au langage par son apprentissage, on peut soutenir que le langage ne se contente pas de décrire la réalité, il la construit. Nos concepts et catégories linguistiques façonnent notre perception du monde, diront certains.
Yvain répond: - je pourrais dire que les vérités mathématiques existent indépendamment de la manière dont nous les conceptualisons. Il me semble que la mathématique est un langage universel, les concepts mathématiques eux-mêmes transcendent les différences culturelles. Le fait est que, souvent, en mathématique, nos propositions, bien qu'étonnantes, sont validées par l'expérience...
Une autre fois, Yvain souhaite nous parler d'une nouvelle théorie, qui rejoint les discussions précédentes. Il s'agit de la '' Théorie des Cordes '' : elle concerne les particules élémentaires, c'est à dire, les plus petits objets physiques dont sont constituées la matière et les forces de l'univers.
Nous pensions que les électrons, les neutrons et les protons, représentaient les particules fondamentales dont toute matière est faite. Mais, la découverte des quarks constituant les nucléons allait relancer la course à la recherche des particules élémentaires.
Une ''particule'' était considérée comme un point sans dimension, occupant une position précise dans l'espace. Ses caractéristiques étaient la masse, la charge électrique (positive pour les protons, négative pour les électrons, et neutre pour les neutrons), et le spin (une propriété quantique intrinsèque).
Avec l'avènement de la mécanique quantique, la représentation des particules évolue, elles ne sont plus vues comme des objets ponctuels avec des trajectoires définies, mais plutôt comme des "paquets d'ondes" avec des probabilités de présence dans différentes régions de l'espace. Cette matière aurait un aspect ondulatoire ; Cette dualité ''onde-particule '' affecte donc cette représentation. Nous ne pouvons plus nous représenter les particules par de petites billes..
De plus, les physiciens ont découvert que les protons et les neutrons n'étaient pas '' élémentaires '', mais étaient composés de quarks. A présent, nous comprenons qu'il faudrait unifier dans une même théorie, les forces fondamentales (électromagnétique, faible et forte) et la gravité.
Un développement mathématique propose le modèle de cordes unidimensionnelles ( qui n'ont qu'une longueur, et n'ont ni largeur ni hauteur.). Ces cordes vibrent à différentes fréquences, et chaque mode de vibration correspond à une particule différente. La Théorie des Cordes estime pouvoir unifier la gravité et la mécanique quantique.
Cela rejoint nos discussions, autour du miroir; sur les '' formes '' mathématiques utilisées pour décrire des phénomènes physiques. Les mathématiques jouent un rôle central dans la formulation de la théorie des cordes, qui n'est que théorique... Ce serait bien du platonisme, parce que ces cordes, en un sens, ne sont pas observables, et pourraient être considérées comme des entités idéales qui sous-tendent la réalité.