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Pierrick de Chermont / M.QUELLE

Publié le 30 janvier 2025 par Angèle Paoli

<< Poésie d'un jour

Rickshaw Puller  Probably Photographed in Calcutta (Kolkata) - Undated Photograph(1)

 ' ... ou sur un rickshaw enfourché ... "

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Jonas vu depuis le bastingage

    À Udaipur, la nuit, il marchait dans les rues noires de la ville. Il circulait entre des chiens errants, le cri d’une mère derrière une fenêtre et une vache qui remuait des plastiques noirs.
Attendri, il s’avoua ne plus vouloir vivre une existence de jardinier, ni d’électricien, ni d’homme d’affaire. Il aurait pu s’en désoler. Il n’en fut rien. Ni haine, ni chagrin, mais la même joie que celle d’un passager collé au bastingage quand, sur l’océan, le navire affronte les vagues avec une lenteur majestueuse ; que l’homme alors se redresse, affronte sa petite pensée, les bras fermes sur la barre métallique, et respire un grand flux d’humanisme mauve, dont il reçoit, en retour, l’image d’un autre monde où règnent un bien-être et l’harmonie entre les hommes.

     Plus tard, au cours d’une autre journée et dans un autre lieu, la même pensée le visita de nouveau. Fut-ce au pied d’une montagne, ou sous le fil continue des étoiles, ou sur un rickshaw enfourché, tandis que d’autres riaient et buvaient dans un bistrot de Paris ? Puis, à nouveau encore, la même pensée, toujours avec ce même frisson héroïque et généreux.

    L’étrangeté – apparente- du phénomène n’était pas qu’il se persuadait chaque fois de formuler cette pensée pour la première fois ; elle ne venait pas de l’oubli de son oubli, car, sans chercher longtemps, on trouverait des millions d’hommes et de femmes traversés par la même pensée, suivie de la même joie, éphémère et futile et de son oubli continuel ; non, l’étrangeté venait de la poussée d’une si grande quantité de suave guimauve spirituelle.

  À croire que le bien-être et l’harmonie s’éprouvent seulement quand on se tient au bastingage de sa propre pensée ; qu’on survole les vagues huileuses d’un insondable abîme ; et dans la satisfaction qui s’ensuit, quand on y découvre un Jonas en train de se noyer, et qui, dans un terrier râle, nous confesse : « Je meurs, mais tu n’y es pour rien. J’étais une inutile question, qui disparaît pour notre plus grand bien à tous.»

M-quelle

Pierrick de Chermont, M. QUELLE, Poèmes en prose, Avec cinq aquarelles de Marianne K.Leroux, Postface de Gwen Garnier-Duguy,

L’ATELIER DU GRAND TÉTRAS, 2024, pp.87, 88.

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PIERRICK de CHERMONT

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©Photo Yves Faivre 

■ Voir aussi ▼

Par-dessus l’épaule de Blaise Pascal, Éditions de Corlevour | Revue Nunc, 2015
→ (sur Recours au poème) une notice bio-bibliographique sur Pierrick de Chermont (+ plusieurs poèmes)
→ (sur le site des éditions Arfuyen) une recension de Par-dessus l’épaule de Blaise Pascal


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