Chroniques d'Europe (24) - le 5e cercle, partie seconde

Publié le 04 septembre 2008 par Audine

Peut être j’ai loupé une marche.

Au début, quasi idyllique c’était.

Nous nous prélassions dans les boucles de l’Oise, je m’écrasais du chèvrefeuille à même la peau, je dansais le rock and roll et buvais à l’amour retrouvé.

Un jour, dix ans avant, je me balade sur les Champs Elysée et puis je rentre dans l’office de tourisme de Bulgarie. Tout ça parce que j’aime bien les poupées et que Sofia c’est joli pour un nom de ville.

Au bord de la Mer Noire, j’ai rencontré Lulu et ses trois copains.

Ca n’était pas un vrai diminutif mais plutôt un surnom et puis moi, ils m’ont appelée Corinne pour la peine que je ressemblais à la chanteuse de Téléphone. Il parait.

Nous traînions en bord de mer, Lulu marchait d’un pas souple et portait un sweat à capuche.

Nous avons loué deux voitures et nous sommes partis vers l’Ouest, Sofia.

C’est Patrick qui aime conduire. Même s’il boit. Parfois il manque nous mettre dans le fossé des montagnes bulgares, parfois il pleure dans mes bras. Lulu n’y trouve rien à redire.

Dans les voitures et sur les routes de Bulgarie, nous chantons à tue-tête « anti social » parce que aussi Trust, même si j’aime moins que « parlez dans l’hygiaphone ». De temps en temps nous nous arrêtons chez des vieux bulgares fripés qui nous offrent des myrtilles et à qui nous laissons des sacs plastiques Fnac, faute de cadeaux plus représentatifs.

A Sofia, nous petit déjeunons de sodas et de gâteaux secs et nous promenons en photographiant les 35 ans d’une démocratie populaire fêtée dans une solennité triste. Drapeaux et jonquilles, incongrus alibis d’une joie factice.

Pendant quelques mois, Lulu et moi avons été inséparables, mais sans endroit à nous.

Nous fréquentions des fêtes, dormions dans des duvets pour une personne à même des carrelages, écoutions beaucoup de musiques. Ils m’emmenaient voir Trust – quelle horreur – et dans des expéditions d’une journée en vélo à travers les forêts de la région parisienne.

Et puis, j’ai cru bon de passer à des choses plus sérieuses.

Du style un concours.

Alors je ne sais plus bien, le bottin sûrement, j’ai appelé Lulu dix ans après.

Il vivait dans un appartement de banlieue sud et jouait du saxo.

Je me souviens des retrouvailles avec la bande, une belle journée de randonnée à vélo, forêt de Rambouillet et le cœur qui bat à l’approche, et Patrick qui pédalait en rond et me dit « alors tu as fini par l’avoir, ton concours ».

Cette fois là, on était trois, avec ma fille, et deux logements, séparés par une bonne cinquantaine de kilomètres.

Le week-end on était deux, lui et moi, souvent, ma fille chez mes parents.

Et puis ça s’est déréglé.

L’histrion hystérique qui nous servait de chef m’a poussée à partir installer un syndicat régional sur Paris. Cergy – Gare de Lyon, cinquante minutes de train deux fois, trois heures de trajet. Le prix pour respirer, mais la course pour ma fille.

Mon ami proche et quasi frère a été malade. Du genre grave. A programmer un aller au bois avec deux bidons d’essence dans sa voiture. A être hospitalisé d’office. Plusieurs fois.

Une copine a fait une tentative de suicide sur le tapis du salon, à force de ne pas avoir d’enfant ou à force de ne pas arriver à vouloir en avoir peut être.

L’immeuble était hanté par des défenestrés, des assassinats et des exhibitionnistes.

Et puis un jour Lulu m’a dit « tu arrêtes de fumer, on vit en banlieue sud dans une maison qu’on achète, on fait un enfant, on en adopte un autre ».

Ca m’a mise dans une telle colère.

Tant d’efforts pour que je dise non.

J’ai décidé de repartir, vers le Sud, mais vraiment.

Ma copine m’a dit : tu verras, quand tu seras dans ton HLM de La Paillade, tu devrais réfléchir.

Ma fille s’est mise à hurler qu’elle ne voulait pas partir.

Ma psy, que j’allais voir depuis que j’étais restée dix minutes sur le quai du RER en me demandant quel rapport sémantique il y avait entre « acharné » et « décharné », m’a informée que « la distance n’efface pas tout ».

Ma mère m’a dit « nous n’avons pas besoin que tu vives là bas pour aller à Montpellier » - et regarde les cheveux blancs de ton père.

Mais de tout ça, je n’ai écouté strictement personne.

Je refaisais une tentative de sortie du 5e Cercle.