Estelle Fenzy Lisser les pointes (Carnet de collège)
Éditions La Part Commune, 2025.
Lecture de Michel Ménaché
Photo Chantal Thallinger source
Poète et professeur de Lettres en collège, Estelle Fenzy ne cloisonne pas sa présence au monde, elle habite son lieu de vie et enseigne, « en scène. Sans autre costume qu’[elle]-même ». En chantier* avec le quotidien, avec la langue vivante. Lisser les pointes, son dernier recueil, rend compte d’une année scolaire à Arles, dans un collège ZEP / REP. Et son livre est aussi dédié à un ancien élève de cet établissement, tué d’une « balle perdue ». La jungle, hors les murs ? -Tenir à distance, réguler, transmettre, donner, recevoir : « S’adapter. Relier : des heures fourchues lisser les pointes ». En première ligne : « Je leur prépare un demain. » S’y préparer aussi : « Garder la foi. // Vocation. »
Poétique de la pédagogie ? – Tout un art, bien plus qu’un programme : « Transformer les épreuves en initiation, les fragilités en richesse. // Changer le cours de leur histoire. Peut-être. » Du livre à l’écriture : « Les faire écrire […] On construit. / Je suis le fil à plomb. L’édifice tient. // Ils s’élèvent. » Chantier partagé, en devenir, des voix intérieures à révéler, des peurs de se dévoiler à dépasser : « Leur page blanche et puis la mienne. / Ce lieu en soi à découvrir et reconnaître. » Pédagogie de l’attente positive : « Répéter, reformuler, réactiver. / Je suis un Sisyphe heureux. / Je fais pousser des fleurs sous le rocher. »
Pédagogie à rebours : « Ce métier, c’est aller de la réponse à la question. » Le paradoxe peut être fécond, comme si l’inversion momentanée des rôles réveillait les ardeurs, révélait l’intérêt du questionnement fécond. Sans naïveté. La tâche peut être rude. L’agressivité couve sous l’échec, court au malentendu : « Il est venu avec sa colère. Si forte qu’elle est comme une odeur […] J’attends de croiser son regard. Un signe, un geste pour dire qu’il y a quelqu’un à prendre par la main sous ce feu-là. » Apprivoiser « les fêlures ». Restaurer la confiance. Rebondir…
Le travail en groupe restreint humanise le lien, stimule l’écoute : « On partage. C’est une fête. Chacun emporte l’autre dans sa lecture […] Le poème est dans la salle. » Regard lucide sur un statut malmené, sur les dévalorisations cumulées, les agressions répétées… Une déclaration d’amour à l’école du partage et du renversement des assignations à l’échec ou à l’exclusion. Poème pédagogique d’une espérance à hauteur d’enfance…
Michel Ménaché
*Chantier, terme qu’elle emprunte au poète Thierry Metz, en hommage fraternel.