L’affaire Bétharram n’est que le vaisseau amiral d’une flotte fournie. Tous les journaux s’en donnent à cœur joie.
Haro sur l’école catholique !
[Une prof en France]
Vous l’avez peut-être remarqué, les médias ne désarment pas face à l’école catholique, et les dossiers sortent en masse. L’affaire Bétharram n’est que le vaisseau amiral d’une flotte fournie. Tous les journaux s’en donnent à cœur joie. La Charente libre parle de « l’enfer sur Terre » au sujet de Notre-Dame de Garaison, France Bleu épingle l’école Sainte-Croix des Neiges, France 3 Régions le collège de Combrée et La Dépêche du Midi, au sujet de l’école-abbaye de Sorèze, parle de « huis clos glaçant » et titre « Je suis revenu de l’enfer » (notez l’absence de majuscule, signe de l’inculture de ces plumitifs du buzz). Rares sont les voix qui s’élèvent pour défendre l’école catholique et éviter qu’on ne jette le bébé avec l’eau du bain.
Je ne nie pas qu’il puisse y avoir eu des problèmes, des déviances, voire des crimes. Une école est une micro-société humaine, et toute société humaine contient malheureusement ses brebis galeuses. Mais ce qui peut attirer notre attention, ce sont les dates des affaires qui refont surface en ce moment, ainsi que les détails donnés. Quand on lit les articles de presse, on se rend compte que l’on exhume des affaires datant des années 80, des années 60, parfois même des années 40. Et certains témoignages laissent songeurs. Si l’on met de côté les agressions sexuelles, inacceptables, et certains faits de violence à mettre sur le compte de l’alcool ou de troubles psychiques, on peut dire que l’essentiel des récits évoquent ce que l’on appelait auparavant des châtiments corporels : gifles, coups de règles, coups de fouets (quelle que soit la nature du fouet), garde-à-vous, piquet, isolement (qualifié de « cachot »).
Les châtiments corporels ont de tout temps été une pomme de discorde dans le système éducatif, dans lequel on peut inclure la famille. Depuis l’Antiquité, ils ont leurs zélateurs et leurs détracteurs. Quintilien (Ier siècle après J.-C.) les rejetait : « Que l’enfant ne soit jamais frappé : ce traitement est indigne de notre siècle et absolument d’un autre âge. Il engendre chez lui une bassesse d’âme ou une insensibilité plus mauvaise encore » (Institution oratoire, Livre I, chapitre III, 14). Mais il est l’une des rares voix à s’élever contre ce qui forme l’un des principes de l’éducation universelle : l’idée que l’enfant doit être « redressé », « corrigé », pour que ne prospèrent pas les mauvais penchants de la nature humaine. Le grand Bossuet, dans ses textes éducatifs, considère la correction physique comme un moyen légitime d’éducation : « La nature corrompue de l’homme a besoin d’être redressée par la discipline et parfois par la douleur. L’enfant obéira mieux lorsqu’il aura appris à craindre. » Il s’appuie en cela sur l’autorité de la Bible : « Qui ménage sa baguette n’aime pas son fils, qui l’aime vraiment veille à le corriger » (Proverbes XIII, 24), dont on peut trouver un parallèle profane dans le fameux Qui bene amat bene castigat (Qui aime bien châtie bien).

Ce regard porté sur l’enfant n’est donc pas seulement soutenu par l’idée religieuse d’un péché originel. Il est partagé pendant fort longtemps par les promoteurs d’une école laïque et publique, tel La Chalotais : « La douceur est rarement efficace pour inculquer la vertu ; un enfant qui ne craint rien est un enfant perdu » (Traité sur l’Éducation nationale, 1753). Dans mon école rurale, publique et laïque des années 80, deux de mes « maîtres », qui n’étaient pas encore « professeurs des écoles » et restaient de vieux hussards de la République, usaient assez volontiers des coups de règle en bois pour remettre dans le droit chemin les élèves indisciplinés.
Ce qui est donc en jeu, dans la libération actuelle de la parole de ceux qui se considèrent comme des victimes, c’est un changement radical de posture sociétale face à l’enfant et face à la violence comme outil d’autorité. Pour se considérer comme une victime, il faut voir l’acte subi comme illégitime. Quand Mme de Réan ou Mme de Fleurville, pourtant présentées par la comtesse de Ségur comme d’extraordinaires éducatrices, condamnent Sophie au fouet, celle-ci ne le vit pas comme une maltraitance et ne se considère pas comme une victime : elle le voit comme une juste punition visant à corriger des défauts identifiés comme tels. Si, aujourd’hui, je fouette ma fille, elle le vivra comme une violence insupportable et cela n’aura plus de vertu correctrice, car la réprobation sociale portée sur cet acte lui ôtera tout bénéfice.
Ce lynchage en règle de l’école catholique, outre son fond anticlérical assez évident, est un nouveau signe du refus général de l’autorité, sous toutes ses formes et sous toutes ses manifestations, dans une part importante de la population française.