Le gouvernement des juges versus le peuple souverain

Publié le 27 avril 2025 par Observatoiredumensonge

La condamnation de Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire constitue un véritable séisme politique, voire un point de bascule dans le fonctionnement de la démocratie française, maltraitée par des dérives continues installées depuis plusieurs années par notre République, mais brutalisée aujourd’hui par une décision lourde de conséquences pour son plein exercice. Car l’épisode présent n’est que le dernier d’une longue liste de décisions déniant les principes, les valeurs mêmes de la démocratie et une évidence s’impose : le peuple souverain ne doit pas pouvoir s’exprimer pour déterminer son avenir. Pourtant, l’article 3 de notre Constitution précise que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». Or, il faut bien admettre que cette dernière décision des juges empêcherait de facto des millions de citoyens appartenant au peuple souverain, de voter pour leur candidate déclarée à la prochaine élection présidentielle. Ce pouvoir exorbitant des juges ne met-il pas en danger le fonctionnement de notre démocratie et la décision prise à l’encontre de la candidate du Rassemblement national (RN) est-elle vraiment conforme à l’état de droit auquel ils se réfèrent ? L’état de droit ne commande-t-il pas que tous les citoyens soient traités de la même manière notamment au moment du choix de leur candidat à la fonction suprême ? Si ce n’était pas le cas – la décision des juges semble cependant l’accréditer – serions-nous encore dans un Etat de droit ?

Incontestablement la décision prise par le tribunal correctionnel de Paris, le 31 mars 2025, est non seulement politiquement lourde de conséquence pour le déroulement de la future élection présidentielle mais, de l’avis même de personnalités reconnues en matière de droit et notamment de droit constitutionnel (ex-membres honoraires du Conseil constitutionnel), elle est juridiquement très discutable, voire infondée. Car cette décision est contraire à celle prise par le Conseil constitutionnel, trois jours plus tôt, le 25 mars 2025, en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dans une autre affaire qui portait précisément sur l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité et qui, lorsqu’elle est prononcée par les juges, est d’effet immédiat, le justiciable ne pouvant plus se porter candidat à une élection. De ce fait, le droit au recours et le droit d’éligibilité sont inéluctablement affectés. Le Conseil constitutionnel a donc analysé la notion de droit d’éligibilité qui est garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par l’article 3 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel devait alors dire si l’exécution provisoire d’une inéligibilité était conforme ou pas à la nature des mandats politiques et surtout à la liberté de l’électeur. Sa réponse à cette question essentielle est instructive : « sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure d’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ». Il est indéniable que l’évocation de l’atteinte à la préservation de la liberté de l’électeur fait référence aux élections futures et a fortiori, à l’élection présidentielle. Si ce n’était pas le cas, la référence à la liberté des électeurs n’aurait pas été faite. La réponse fournie par le Conseil constitutionnel à cette QPC a une portée générale dépassant le cas soumis. En effet, elle englobe tous les mandats électifs et concerne donc bien l’élection présidentielle. Enfin, les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours et s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles conformément à l’article 62 de la Constitution. L’exécution provisoire de l’inéligibilité appliquée à Marine Le Pen méconnaît donc la réserve émise par le Conseil constitutionnel.

Mais au-delà de l’interprétation très discutable de cette réserve énoncée par le Conseil constitutionnel, les juges n’ont-ils pas, de surcroît, par certains attendus de leur jugement, outrepassé le droit que leur confère leur fonction en justifiant leur décision par des arguments de portée politique et non plus de droit ? Car objectivement peut-on douter un instant de la nature politique de certains arguments ? Sans nous attarder sur celui de la récidive qui est inattendu, incohérent et incompréhensible, la candidate du RN n’étant plus députée européenne, ni présidente d’un parti – ce qui laisse à penser que les juges font fi de la loi dans le cas présent – on ne peut qu’être troublé, si ce n’est scandalisé, par celui du trouble à l’ordre public ou celui de l’atteinte aux intérêts de l’Union européenne (UE) utilisés par les juges. En effet, le fait que Marine Le Pen soit candidate à l’élection présidentielle et qu’elle puisse être élue constituerait pour les juges un trouble irréparable à l’ordre public démocratique qu’il faut faire cesser, selon les termes mêmes du jugement. Ce motif pour justifier l’exécution provisoire d’inéligibilité est bien politique et traduit la volonté des juges de décider qui peut se présenter à l’élection présidentielle ou pas à la place du peuple souverain. On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec les différentes prises de position du syndicat de la magistrature (un tiers des magistrats) et notamment son communiqué de juin 2024, après les élections européennes, dans lequel il « appelle l’ensemble des magistrats, ainsi que tous ceux qui participent à l’activité judiciaire, à se mobiliser contre l’accession au pouvoir » de ceux qu’il qualifie d’extrême-droite. Cette ingérence politique et antidémocratique de ce syndicat n’est pas tolérable. Quant à l’argument sur l’UE, les juges considèrent que « l’atteinte aux intérêts de l’Union européenne revêt une gravité particulière dans la mesure où elle est portée, non sans un certain cynisme, mais avec détermination, par un parti politique qui revendique son opposition aux institutions européennes ». Les juges font ici preuve d’une audace sidérante en motivant leur décision sur des fondements exclusivement politiques car il serait illégal de porter un jugement ou d’avoir une opinion divergente de la leur. Le rôle du parlementaire se limiterait donc à n’avoir ni opinion, ni convictions et à voter comme il faut. Mais n’est-ce pas là la négation de la démocratie ? Les juges ne s’emparent-ils pas du pouvoir politique et ne sommes-nous pas en présence d’un abus de pouvoir ?

Les conséquences politiques de cette décision des juges sont donc lourdes sur le déroulement démocratique du processus électoral car elle compromet sérieusement la candidature de Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2027, le jugement du tribunal correctionnel de Paris la forçant à abandonner la course. Est-elle pour autant définitivement éliminée ? En tout cas, d’autres responsables politiques se sont vu reprocher par la justice des griefs similaires à ceux touchant la candidate du RN et il sera intéressant de voir le sort qui leur sera réservé. Le Premier ministre a été « troublé » par l’énoncé du jugement à l’encontre de cette dernière estimant que l’affaire des assistants parlementaires européens était fondée sur une accusation injuste. Il faut dire que lui-même a été confronté aux mêmes accusations. Relaxé en première instance en 2024, le parquet a cependant fait appel. Quant au chef des Insoumis, il a fustigé la condamnation de Marine Le Pen considérant que « la décision de destituer un élu devrait revenir au peuple ». Il est cependant, lui aussi, soupçonné d’avoir embauché des assistants parlementaires lorsqu’il était député européen pour l’épauler dans le cadre de son activité politique nationale. L’enquête le visant, ouverte en 2018, demeure encore au stade de l’information judiciaire. Alors, d’autres décisions d’exécutions provisoires d’inéligibilité seront-elles prononcées ?