Pour changer, changeons de sujet.
Un mien camarade m’ayant fait remarquer qu’il y avait parfois danger à exprimer ses opinions en ce qui concerne l’Afrique, je vous offre à lire un texte que j’ai signé dans mon respecté journal et qui va à contre-courant des idées en cours (en cour ?) - ouh, alors ça, c’est un jeu de mots que seuls les initiés parmi les initiés à la politique africaine vont comprendre. S’il y a émeute, je vous expliquerai mais je ne vais pas surcharger la pirogue dès le départ - Donc si ce texte suscite un pic de réactions indignées, je conviendrai de la difficulté à écrire ce que l’on pense. J’ai toutefois l’intime conviction que cela ne déchaînera pas les foules…
Ca s’appelait : “Mugabe, vainqueur par KO”
Le Zimbabwe et son président, Robert Gabriel Mugabe, posent problème. Au second tour de l’élection présidentielle, le 27 juin dernier, celui-ci a obtenu un peu plus de 2 millions de voix, soit 90,2 % des suffrages exprimés. A l’annonce de ces résultats, la communauté internationale a jeté les hauts cris. On n’en avait pas tant entendu en 1989 lorsque le président tunisien, Zine el-Abidine Ben Ali, candidat unique à sa propre succession, avait engrangé 99,27 % des voix, exploit renouvelé en 1994 avec 99,91 %.Retenons qu’en dépit des pressions exercées à leur encontre, 233 000 personnes ont voté pour Morgan Tsvangirai, le leader de l’opposition. BIen que mentionné sur le bulletin de vote, il s’était volontairement retiré de la course pour dénoncer les violences et les conditions malhonnêtes du scrutin. Il faut saluer leur courage. Le Zimbabwe n’est peut-être pas l’enfer décrit dans les médias occidentaux, ce n’est pas non plus le paradis des droits de l’homme.
Osons cependant une comparaison : début 2008 au Kenya, l’opposant Raila Odinga s’était refusé à pratiquer cette politique de la chaise vide. Il estimait que c’était faire la part trop belle au président sortant. Selon certaines sources, Odinga craignait que cette réaction soit interprétée non comme de la sagesse, mais comme de la couardise et signe ainsi sa mort politique. Tsvangirai se sentait-il davantage soutenu que son homologue kenyan ? La communauté internationale - on devrait ajouter “occidentale” - le lui a amplement prouvé en mettant en musique de façon magistrale l’aversion “universelle” et depuis longtemps entretenue pour son adversaire Mugabe. Côté humain, le résultat a été sensiblement le même : 200 000 déplacés à travers le pays, plusieurs centaines de blessés et des morts. Difficile de tirer une conclusion, on aurait trop vite fait de dire que le Zimbabwe n’est pas le Kenya, ni sur le plan historique, ni sur le plan social.
Reste que l’on reproche beaucoup de choses au vieux chef guerillero. Un peu trop, peut-être. En premier lieu son âge, 84 ans. C’est assez vite oublier qu’Abdoulaye Wade, président incontesté du Sénégal, a été réélu en 2007 à l’âge de 85 ans. Ensuite, on en veut à Mugabe de sa longévité au pouvoir : Premier ministre en 1980, il a été élu à la tête de la république en 1987, il y a vingt-et-un ans. Loin du record détenu par Omar Bongo Ondimba : quarante-et-un ans à la tête du Gabon. Derrière lui, la liste est longue : l’Angolais José Dos Santos a trente-et-un ans de présidence, le Camerounais Paul Biya en totalise vingt-six etc.
Nous n’énumèrerons pas ici les critiques et reproches qu’il est légitime de faire au chef de l’Etat zimbabwéen, nos confrères s’en sont chargés. Parlons plutôt des éléments positifs. Contrairement à certains, Robert Mugabe n’a pas pris le pouvoir par un coup d’Etat et n’a pas eu à se faire légitimer par les urnes. Il n’y a pas eu de guerre civile dans son pays après son arrivée aux affaires. Il est ridhe, mais ne collectionne pas les résidences luxueuses à l’étranger, au point de faire l’objet de plaintes devant les tribunaux. Enfin, nonobstant le racisme anti-blanc dont il se rend coupable, il a permis à Ian Smith, chef du gouvernement au temps où le Zimbabwe s’appelait encore la Rhodésie du Sud, blanche et ségrégationniste, de vivre tranquillement à Harare pendant trente ans, avant d’y décéder en 2007.
C’est cet homme que le ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner a traité publiquement d’ “escroc et assassin” (à Jérusalem le 22 juin). Réaction reprise en écho par toute la presse occidentale, anglo-saxonne comme francophone, jusqu’au Matin du Maroc, dans son édition du 23 juin, qui s’en est pris à ce “dictateur sanguinaire”. Il est vrai que lorsqu’on a vécu sous le règne du roi Hassan II, on sait de quoi l’on parle.
Imperturbable, Robert Mugabe a promené sa petite moustache dite “à la Hitler” au 11ème sommet de l’Union africaine à Charm el-Cheikh (Egypte) les 30 juin et 1er juillet. Ses pairs africains l’y ont bien reçu, infligeant par ce biais un joli camouflet au monde politique et médiaque occidental.