Sur la justice (un)

Publié le 05 septembre 2008 par Saucrates

Réflexion six
Retour sur les notions de juste et d’injuste

Comme je l’ai déjà dit, notre civilisation occidentale ne reconnaît plus ces deux termes. Elle leur a préféré les termes de ’légalité’ et ’illégalité’. Notre civilisation matérialiste et cartésienne ne se réfère plus à la morale, qui fonde le juste et l’injuste, mais se réfère uniquement aux normes, dont les lois font parties. Les normes permettent de déterminer ce qui est conforme et ce qui n’est pas conforme. La morale, au contraire, permet de déterminer ce qui bien et ce qui est mal. D’une certaine façon, cette dernière dichotomie est beaucoup plus tranchée que la première. Les normes peuvent changer, et ce qui est conforme aux lois devenir non conforme, et vice versa. Au contraire, le bien et le mal ne varient pas. La morale a cette particularité d’être intangible. Les lois et les normes changent selon les époques, pas la morale.
Bizarrement, notre civilisation occidentale est la seule civilisation à avoir pour fondement une culture reposant sur la morale, dite judéo-chrétienne. Et c’est justement cette civilisation-là, judéo-chrétienne, qui a formalisé les notions de normes et de lois, puis les a substitué aux notions de morale, de bien et de mal. Cette création avait pour origine l’impossibilité de définir une loi supérieure, dite divine, qui aurait servi de modèle et de fondement aux lois humaines. Mais, en l’absence d’une loi divine, sur quoi peut donc reposer la morale ? Sur notre religion judéo-chrétienne ?
Ce qui est sûr, c’est que toute société humaine, occidentale ou non, repose sur le respect de normes et de règles. Ce qui rend nos sociétés occidentales particulières, c’est le formalisme qui s’y attache. Et le capitalisme tout particulièrement, principal composant de nos sociétés modernes, a besoin de ce formalisme juridique, qui sécurise son fonctionnement. Evidemment, celui-ci est également capable de fonctionner là où le droit n’existe pas, ou seuls la violence, l’arbitraire, l’irrationnel fonctionnent. Mais il faut alors que l’importance des profits possibles rende rentable les risques encourus et la corruption qui est alors indispensable.
Le capitalisme n’a nul besoin de morale. En effet, lois et morale ne sont pas toujours en harmonie. Dans nos sociétés occidentales dites judéo-chrétiennes, ce qui est légal n’est pas toujours moral, et ce qui est considéré comme illégal est parfois justement moral. Ainsi en matière d’immigration, l’aide aux personnes légalement en situation irrégulière est considérée comme une action illégale, alors l’accueil des étrangers est une action moralement valable, voire encouragée par les écritures saintes (catholiques). Les lois sur l’immigration, même non amorales, condamnent ainsi souvent des actes qui en eux-mêmes sont moraux.
Il est très intéressant d’observer qu’a posteriori, des actes moraux mais illégaux comparables ont pu par le passé être considérés comme justes et moraux, et les actes amoraux mais légaux, valorisés à un instant donné, être condamnés quelques années plus tard et considérés comme légalement répréhensibles (l’assistance aux personnes juives pendant la seconde guerre mondiale et l’occupation nazie). Intéressant d’observer que ces mêmes actes moraux sont de nouveau considérés aujourd’hui comme répréhensibles, vis-à-vis d’une autre population (non plus juive mais étrangère, notamment africaine). L’Histoire pourrait-elle de nouveau s’inverser dans quelques années ?
De même, en matière financière, la recherche capitaliste du profit maximum conduit souvent à des actes amoraux (expulsion de personnes socialement en difficulté, abus vis-à-vis de personnes en difficulté). Le capitalisme ne repose pas sur la morale, parce que la morale n’a semblerait-il plus sa place dans nos sociétés modernes.
Mais est-ce si sûr ? N’assiste-t-on pas ces dernières années à un retour de la morale ? En matière de relations internationales d’abord avec la guerre contre l’axe du mal chère à Georges W. Bush, qui a servi de prétexte à l’invasion de l’Irak par les armées américaines et alliées. En matière de capitalisme également, avec les multiples condamnations des rémunérations importantes de dirigeants de certains grands groupes.
En fait, la morale n’a jamais quitté nos sociétés occidentales. Avec l’essor des relations capitalistes et de l’individualisme, elle avait reflué dans la sphère privée, dans les échanges interpersonnels. Elle fondait les relations de chacun avec son entourage, mais n’était plus pertinente en matière globale. Confinée à cet usage individuel, sa transmission de générations en générations ne reposait plus que sur la parenté et sur la religion. De sorte, certaines personnes ne se sentent plus obligées de la respecter, d’où le développement des vols et des aggressions, aussi bien que des pratiques professionnelles ou financières amorales, que certains croient conformes au capitalisme.
La morale existe toujours dans nos sociétés. La majeure partie de la population la respecte encore plus ou moins. Les justes sont ceux qui quelle que soit la situation, quels que soient les risques encourus, même face à la justice ou face à un Etat totalitaire, continuent d’appliquer ce que la morale (ce qu’on leur a transmis de la morale) leur dit de faire. Et il est dommage que ces justes ne soient seuls pas autorisés à fabriquer les lois dans nos parlements et assemblées. Mais la recherche du pouvoir personnel que suppose la politique est rarement le fait de personnes ’justes’.