Je
m’étais promis de cesser l’achat coûteux du magazine
Lire mais je n’arrive plus à me procurer le Matricule des
Anges auquel je vais devoir m’abonner à présent. Les
promesses sont faites pour culpabiliser de ne pas les tenir et c’est
encore une fois le cas. « La
faute à la 5ème, l’ nez dans les chrysanthèmes… »
Certes, je ne vais
pas détourner la chanson du poulbot Hugolien pour si peu mais
je m’en veux d’être autant influençable.
Cette
chienne publique de télévision qui partage désormais
François Busnel avec la revue objet de mon embarras nous avait
promis une émission littéraire avec un Frédéric
Ferney plus jeune. Jeunisme racoleur qu’il nous faut supporter
aussi en littérature visiblement. Comme dirait Claude Léveillée, je
me fous du monde entier quand Frédéric me rappelle les
amours de nos vingt ans…
Parmi
les pertinentes originales et érudites questions posées
aux écrivains présents sur le plateau (que des inconnus
illisibles), Régis Jauffret eut droit à : « un
écrivain a-t-il tous les droits ? » (Oui, je
sais, c’est énorme…)
François
nous resservit ensuite sa vieille terreur nocturne autour du mensonge
et de la vérité chez un auteur, réveillée
il y a quelques mois déjà par Micha Defonseca et
que j’avais brocardée ici.
Bref,
je ne me croyais pas une enfant de la télé abâtardie
et influençable à ce point et c’est pourtant et sans
aucun doute suite à cette émission que j’ai acheté
cette blague onéreuse à 5.50€.
Déjà
ce qui fait rire jaune dans ces revues littéraires, ce sont
les pages entières de réclames consacrées à
Actes Sud ou Eho. C’est comme dans les magazines de gisquettes ou
de gaziers : ils vous promettent des comparatifs et critiques
objectifs de produits cosmétiques ou de voitures, mais toutes
les marques qu’ils citent payent des encarts de pub pour figurer
dans leurs pages.
Ce
qui m’a cruellement fait regretter de claquer mon billet de cinq,
c’est l’édito de François dans le supplément
consacré à la rentrée littéraire :
« »
Plus de 600 romans à découvrir chez vos libraires entre
la fin août et la mi-octobre (je
vais les compter pour voir). Comment
débusquer les pépites ? En suivant les
préconisations de nos journalistes […] et celles des
libraires du réseau Virgin Megastore […] (je
suis à deux doigts de Jurançon de retourner en analyse)
Dans
la totalité des cas, les choix des libraires correspondent à
ceux de Lire. Cette sélection ne vante jamais les mérites
d’un ouvrage que nous aurions, par ailleurs, déconseillé.
Après tout, nous faisons le même métier :
lire, aimer, guider, conseiller.
[…]Voici
donc les trente livres que les quarante-six équipes de
libraires Virgin et Furet ont retenus.[…] Les libraires ont la
parole. Ils la prennent en toute indépendance (je
vous fais grâce d’un cours sur la grande distribution), avec
fantaisie parfois, avec curiosité toujours.
Je
vous épargne également mes remarques sur ce que je
pense de ce grand défenseur des librairies indépendantes, il vous suffit de taper les mots-clés "librairies" + "indépendantes" pour voir s'il figure dans la liste.
Un
de ces vendeurs de papier au kilo et à la photo d’écrivain(e)
plus grosse que le titre et la quatrième de couv. confesse
qu’ils n’ont pas le temps de tout lire, et qu’il leur faut donc
établir des
priorités, selon des critères très subjectifs :
les thèmes qu’ils
jugent intéressants,
les auteurs chouchous qu’ils
suivent année
après année, les écrivains majeurs qu’il leur
faut avoir à
l’œil.
En
effet, leur sélection se cantonne à part deux ou trois
exceptions aux grosses maisons d’édition, et aux auteurs
déjà publiés. Pour les premiers romans, ils ont
fait comme vous et moi, ils ont consulté la presse et les
notes des maisons d’édition.
Au
niveau des notations c’est également édifiant :
ils ont un choix limité d’ouvrages à sélectionner,
donc quand ils ont épuisé toutes leurs meilleures
notes, de 16/20 à 20/20 et qu’ils entament la lecture d’un
bouquin qu’ils trouvent meilleur, c'est-à-dire vendable, ils
n’hésitent pas à renoter pour déclasser leurs
précédentes sélections.
D’ailleurs,
ils ne disent pas « vendable » mais « qu’il
nous est aisé de transmettre à nos clients ».
Ce
sont également des prescripteurs magnifiques, qui admettent
que Pynchon est un
auteur culte, mais pas forcément grand public,
et qu’il leur revient
de prévenir si un
livre est facile
à lire ou non.
Petite digression, ça viendrait d’eux les tranches d’âge
inscrites sur les livres de littérature pour la jeunesse,
cette ignominie dégueulasse qui trompe la curiosité des
jeunes lecteurs ?
J’imagine
le vendeur à Vierge Mégascore : « Madame,
vous avez une trentaine d’années, célibataire à
poils ras, et les miettes d’un éclair au chocolat sur la
commissure des lèvres. Lâchez immédiatement cet
essai sur la théorie des cordes en physique quantique et lisez
le journal de Bridget Jones. »
Oui
je sais, il n’aurait peut-être pas dit : « commissure »
et il n’y a pas d’essai de physique quantique à Vierge
Mégascore, mais c’est mon
imagination et je fais ce que je veux !
Pour
conclure, s’il est légal d’intenter un procès en
mauvaise foi je veux bien contacter un avocat pour avoir lu la pépite
suivante d’une vendeuse de chez eux :
« On
ne tranche pas forcément en faveur du livre le plus apte à
être vendu. Au contraire ! Les livres accessibles seront
plus à même de trouver preneur en librairie. »
Le
premier qui me dit qu’il achète ses livres à Vierge
Mégascore, à la Flaque ou à Cul tu rases je le
blackliste pendant un mois !