La maison sur le dos.

Ça m’écrase.
T’étais comment avant ? J’oublie encore.
C’est comme si dans ma bouche, de la terre. ça colle. J’étouffe.
Les gens crevés…sous la terre…
Tu voulais un cercueil ? On n’a même pas eu le temps d’y penser.
T’as eu un cercueil.
Tu te barres comme ça…tu ne dis pas au revoir et nous on se fait avoir…
Les gens crevés, est-ce qu’ils font de la poussière ?
Ils sont où tes yeux d’eau ?
C’est ça qui m’écrase, j’me souviens plus d’avant…j’oublie encore…comment tu riais, comment tu chantais, le son de ta voix, l’odeur…j’oublie encore.
Avant j’étais petite fille.
Après t’es morte.
ça m’écrase.
C’est comme si dans mes yeux, du sable. Ca pique. Je suis aveugle.
Les gens crevés…dans les airs…
Tu voulais une messe ? On n’a même pas eu le temps d’y penser.
T’as eu la messe, les orgues, la chorale du village, l’église pleine à craquer.
Tu te casses comme ça…tu fais genre je vais lutter contre le mal, mais que dalle…tu crèves…
Les gens crevés, est-ce qu’ils font des nuages ?
C’est ça qui m’écrase, j’me souviens plus d’avant…quand t’étais là…les choses que j’aimais, celles dont j’avais peur…ben c’est plus les mêmes…j’ai changé.
J’me couche le soir, j’me lève le matin. C’est pareil. Toi en moins.
Dès qu’il m’arrive un truc de bien, j’te cherche pour te le raconter. Dès qu’il m’arrive un truc de mal…c’est jamais pire que de t’avoir perdue toi.
Tu voulais de beaux discours ? On n’a même pas eu les tripes d’y penser.
T’as eu que nos larmes. On était muet, trop fâché. Sidéré.
Merde ! Il pleut encore.
Je sens la main moite de mon fils se glisser dans la mienne.
- Il pleut là ! Qu’il me dit.
Et sa main toujours dans la mienne. Et toi qui n’a jamais vu son visage.
Ça m’écrase.
Comme si chaque jour où il grandit, tu disparais un peu plus…et moi, je t’oublie encore.
C’est une histoire de roue qui tourne…
A cause de la pluie j’ai dit :
- On va chasser l’escargot ?
Il a sourit. Sa bouche, le coin de ses yeux…à travers lui…toi.
J’ai déposé les fleurs. On est parti. La grille rouillée a couiné.
Les gens crevés sont toujours là…
…mais moi, qui pense à moi ?