Magazine Humeur

Voir la réalité en face

Publié le 29 septembre 2025 par Observatoiredumensonge

[Une prof en France]

Ma dernière chronique semble avoir déchaîné les passions. Je remercie chaleureusement les lecteurs qui ont envoyé des mots de soutien. Cela ne changera rien à la situation, mais cela fait toujours chaud au cœur. J’ai en revanche été étonnée puis amusée par ceux qui expliquaient, parfois avec un raisonnement assertif et rationnel, que ce que je racontais était résolument impossible et que, donc, je mentais.

L’idéalisme, ce mal français

Cette position est selon moi révélatrice d’un des maux français, qui sévit dans tous les groupes sociaux et dans toutes les mouvances politiques, à savoir l’idéalisme. Les Français ont une forte propension à refuser le réel au profit d’une image fantasmée qu’ils ont forgée à l’enclume de leurs théories du monde. Nous sommes loin du pragmatisme américain. Cela a marqué l’Histoire, des croisades à la Révolution, des saint-simoniens aux nervis de SOS Racisme. Il n’y a pas loin, finalement, dans le positionnement général face au monde, entre celui qui affirme qu’il est impossible qu’un agrégé-docteur soit affecté en collège de troisième zone – alors même qu’en France, près de 25 % des agrégés sont bloqués en collège par l’administration centrale – et mon directeur qui me soutient, avec l’enthousiasme de la foi, que grâce à notre aura magnétique, à nos méthodes miraculeuses et aux prières ferventes de toute l’institution, nos élèves les plus faibles arriveront, au bout de quatre années de présence en nos murs, au niveau de l’examen, voire au même niveau que les élèves les plus forts, puisque telle est l’ambition formulée par la réforme des groupes de niveau.

La tension qui dirige ces deux positions est la même : le réel est si éloigné de ce que je voudrais qu’il soit, et de ce qu’il pourrait être s’il était structuré par des schémas rationnels, que je décide d’en refuser des pans entiers, de le nier partiellement, de n’en garder que les fragments qui m’agréent et me confortent, et que je rejette le reste dans l’abîme de l’erreur ou du mensonge.

À ce sujet — [UNE PROF EN FRANCE] Mon groupe de 5e : la cour des Miracles

L’école, temple de l’absurde depuis au moins 40 ans

Dans les commentaires qui mettent en doute la véracité de mon témoignage subsiste, en arrière-plan, une vision naïvement confiante de l’école, un reliquat d’idéalisme, un reste de rêve scolaire biberonné aux hussards de nos grands-pères et aux romans de Pagnol : on admet que cela va mal, mais pas à ce point, pas au point de faire des choses résolument absurdes et contre-productives. Mais l’école est le temple de l’absurde depuis au moins 40 ans – et le projet scolaire lui-même est peut-être déjà en soi une folie idéaliste. Alors, quand vous mettez une horlogerie délicate et subtile, instable, capricieuse, entre les mains de fous montés sur les épaules de nains, forcément, cela dérape, se dérègle et devient un délirant capharnaüm.

Le problème de l’idéalisme, c’est qu’il n’est jamais compatible avec d’autres idéalismes et qu’il n’aide pas non plus à résoudre les problèmes du réel, étant donné qu’au mieux, il les travestit, au pire, il les occulte.

Mon directeur se trompe quand il croit que mon élève marocaine apprendra le français en m’entendant parler des Fourberies de Scapin et du complément d’objet direct ; certains lecteurs se trompent quand ils croient que l’école sera sauvée si on renvoie outre-Méditerranée un quart de nos élèves ; d’autres devraient moins idéaliser le hors-contrat et sa diversité. L’idéologie, c’est rassurant parce que c’est cohérent. Le réel auquel nous sommes confrontés dans nos classes est aussi contradictoire, chaotique, divers et irrationnel que la nature humaine, blessée et complexe. Avec le matériau humain, les croyances sont souvent de funestes conseillères.

Voir réalité face

Copyright obligatoire en cas de citation ou de transmission de cet article, vous pouvez le copier :
Boulevard Voltaire

Voir réalité face

Voir réalité faceNous aimons la liberté de publier : à vous de partager ! Ce texte est une Tribune Libre qui n’engage que son auteur et en aucun casObservatoire du MENSONGE 

Du même auteur :

Perles du brevet : en rire ou en pleurer ?

Saisir votre adresse mail ici

🇫🇷 🇫🇷 🇫🇷 🇫🇷 🇫🇷 🇫🇷 🇫🇷


Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazine