Dans l’actualité ces jours-ci, la création du fichier Edvige, censé permettre aux services de police de centraliser les rengeignements sur les fauteurs de trouble, suscite une réprobation quasi-générale. Même le très sarkozyste ministre de la Défense Hervé Morin vient de se démarquer du projet. “Est-il utile, pour assurer la sécurité de nos compatriotes, de centraliser des informations relatives aux personnes physiques ayant seulement sollicité un mandat politique ou syndical ?”, a-t-il dit ce week-end à la tribune de l’université d’été du Nouveau Centre.
“Est-il utile qu’on y intègre des éléments du type des coordonnées téléphoniques, des orientations, sans savoir exactement de quoi il s’agit, des informations d’ordre fiscal ou patrimonial ? Est-ce bien nécessaire de ficher les personnes jouant, selon les termes même du décret, un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif ? N’y a-t-il pas là un curieux mélange des genres ?”, a-t-il ajouté.
François Bayrou a écrit à tous les élus de France pour souligner tout le mal qu’il pensait de ce projet dangereux. Alex Türk, le très lillois président de la Commission nationale informatique et libertés est quant à lui complètement désabusé. A l’occasion de sa nomination à la tête du G29 (qui réunit les CNIL européennes) il expliquait qu’il se demandait si cela valait encore la peine de s’opposer à un fichier policier, ou à une proposition de loi sécuritaire, puisqu’à chaque fois, ils ne sont pas entendus, et que le projet passe en l’état.
Ces trois personnalités politiques ne peuvent être suspectées de gauchisme. Elles rejoignent pourtant sur le sujet les nombreuses voix qui se sont exprimées sur le sujet : les syndicats de magistrats, la Ligue des droits de l’homme, … et les 76000 signataires de la pétition demandant au gouvernement de surseoir à ce dispositif.
Ne soyons pas naïfs, le travail policier est basé en grande partie sur le renseignement, et depuis fort longtemps. Le service des renseignements généraux existe par exemple depuis 1911. Il vient d’ailleurs d’être réorganisé. La lutte contre le banditisme, le démantèlement des réseaux de la drogue ou de la corruption, et plus généralement la guerre contre toutes les entreprises de déstabilisation de notre vivre-ensemble et de notre démocratie nécessitent une investigation discrète. Le fichage des suspects, de leurs intermédiaires, de ceux qui sont tentés de les imiter ou de les rejoindre est une tâche essentielle de la police.
Mais de là à admettre que dès 13 ans, nous-mêmes et nos enfants puissions être nomenclaturés à vie parce que nous aurons participé à une manifestation, ou que nous nous serons rendus à telle conférence, qu’on puisse petit à petit amasser toutes sortes de données, sur nos relations, nos préférences sexuelles, nos goûts musicaux pourquoi pas, au seul prétexte que nous pourrions être un jour “susceptibles de troubler l’ordre public”, il me semble que la réalité dépasse la fiction. Comme le dit Alex Türk : « Si vous croyez que le monde ressemblera un jour à celui de Big Brother, détrompez-vous… Vous êtes en plein dedans ! »
Nous sommes chaque jour un peu plus impliqués dans l’aventure des nouvelles technologies. Nous pouvons faire nos courses à partir de notre domicile, nous pouvons converser avec nos amis quelle que soit l’heure, quel que soit l’endroit où ils se trouvent, nous pouvons de chez nous ouvrir nos antennes sur le monde, suivre un événement de l’autre côté de la planète en temps réel, entretenir un blog comme celui-ci.
Ces avancées ont un profil enthousiasmant.
Mais l’autre versant de la silhouette est beaucoup plus inquiétant. Il est désormais imaginable qu’on croise les numéros que nous avons composés sur notre téléphone portable, nos amis inscrits sur “Facebook”, les adresses “IP” des internautes avec lesquels nous avons “chatté” avec les nombreux fichiers sur lesquels nous sommes inscrits à la banque, à l’école, à la préfecture. Et la liste n’est pas close.
A Templemars, nous savons combien les nouvelles technologies de l’information et de la communication peuvent nous rendre la vie plus confortable, plus intéressante. Elles constituent d’ailleurs un vivier d’emplois et de profits incroyables pour nos enfants.
Pour qu’en même temps nous puissions préserver notre liberté, il faut qu’existent des contre-pouvoirs capables d’enquêter sur les enquêteurs. Si l’on en croit Alex Türk, ce n’est pas le cas aujourd’hui en France : “Le capital de notre identité et de notre vie privée est chaque jour menacé. Il y a urgence à le préserver. Comme le capital environnemental de l’humanité, il risque, lui aussi, d’être si gravement atteint qu’il ne puisse être renouvelé. “