Magazine Journal intime

Ironic Fiction

Publié le 11 septembre 2008 par Fyfe
J'ai commencé à travailler à l'usine à 16 ans.
On fabriquait des chaudières industrielles.
Entre nous, pour ce qu'on me demandait je peux vous dire que ça aurait aussi bien pu être des jouets en plastique.
Les collègues, la pause café, le train train, quoi.
Un jour, je crois que c'était en 1997, j'ai entendu Chirac dire à la télévision que l'amiante serait interdit, vu qu'on savait depuis des dizaines d'année que c'était dangereux pour la santé.
Ça m'a fait drôle, parce que de l'amiante, il y en a plein à l'usine.
On en a parlé un peu ensemble, avec les gars de l'équipe, et puis on a continué à bosser parce que le boulot n'attendait pas, ni le chèque en fin de mois, évidemment.
Les cancers et les décès ont commencé pas longtemps après. On avait beau se plaindre et demander des explications, les patrons ils s'en foutaient un peu.
On nous a même fait casser un vieux four bourré d'amiante à la masse, sans protection.
Faut dire que quand l'inspectrice du travail était passée, la direction avait affirmé qu'il n'y avait plus d'amiante, alors...
Ça a duré longtemps parce que je me souviens que c'est en 2002 que le désamiantage du site a été fait.
40 tonnes de poussières amiantées ont été déblayées.
Putain, 40 tonnes.
Là, ça m'a fait bizarre quand même. On s'est rendu compte qu'on devait tous avoir les poumons pleins de cette saloperie-là, et que les cancers, c'était que le début.
Ça fout les boules, mais la vérité, c'est que les patrons, ils n'en ont rien eu à foutre de nous.
Le procès, ils l'ont bien mérité.
On a réclamé 10 000 euros de préjudice moral. Ça rend pas la santé mais c'est mieux que rien.
Quand je vois que des collègues malades ont eu droit à 1 500 euros à Nantes, je me dis que j'ai de la chance.
En même temps il y en a qui ont touché 200 000. Avec l'option cancer. Alors je sais pas trop. Si 10 000 euros, c'est le prix de ma vie, c'est clair que ça fait pas lourd.
J'ai joué. Beaucoup.
Triché. Souvent.
Gagné. Enormément.
Et perdu. Tout.
Mais je ne suis pas du genre à me laisser abattre. Dans la vie on est un winner ou pas. Et crois moi, le mec qui va m'enterrer, il n'est pas né. Pourtant, ça n'a pas été tous les jours faciles.
La vie de golden boy, le fric, c'est peut être pas chic, mais on s'en fout, j'étais bien habitué. Des potes, t'en manques pas quand t'es pété de thunes. Et puis les journaux people, ils ne se lassent pas de raconter ta success story sous tous les angles.
Le jour où tu te fais piquer la main dans le sac, putain, là, tu les comptes sur la main, tes amis. On te file en pâture aux médias, et tu payes cher. Tu oublies le yatch, tu oublies les nanas, tu oublies la tournée des grands ducs.
Y en a qui vont me le payer, crois moi, la vengeance est un plat qui se mange froid.
Parce que j'ai trouvé la faille dans leur système.
Eux non plus ils n'ont pas été très clean avec moi.
Et moi tu vois, quand je trouve une faille, je m'engouffre.
Et voilà.
Ca a pris du temps, mais je les ai fait cracher.
Ils m'ont remboursé le manque a gagner. 240 millions d'euros.
Et puis le préjudice moral aussi. 45 millions d'euros.
C'est le prix de ma blessure. De mon honneur déchu.
Alors elle est où l'ironie de ma fiction tellement fictionnelle ? Ben l'ironie, c'est que le genre de type qui se ramasse 45 millions, c'est le même genre de type qui décide que d'autres n'ont qu'à crever de l'amiante parce que cette putain d'usine, elle va bien tourner encore 5 ans avant qu'on désamiante.
Vous je ne sais pas, mais moi à l'idée de vivre dans un monde où l'orgueil des riches vaut mille fois plus cher que la vie ou la mort des pauvres ça me donne des envies sévères de révolution.
Le fatalisme ambiant des pauvres destinés à rester pauvres toute leur vie (ou à gagner la star academy), résolus à regarder de loin ces riches de plus en plus riches et de plus en plus protégés, ça me donne envie de foutre le feu, tout simplement.
'tain je vais accoucher d'un pyromane à cause de ces conneries.
Evidemment toute ressemblance avec des faits réels ou ayant existés ne serait que fortuite et blablabla. Mais mate un peu ici quand même. Et . Et viens révolutionner avec moi un peu.

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