Toute rencontre est le début d'une séparation ! Evidemment, quand elle le lui avait dit lors de leur première rencontre au café de l’Echiquier, ça l’avait un peu surpris, surtout qu’il ne lui avait rien demandé, à part un stylo. Puis, par désœuvrement, il s’était retrouvé assis à sa table, l’observant entrain de lisser compulsivement le bout de l’une de ses longues mèches brunes entre ses doigts. Ce qui lui avait tout de suite plu chez cette fille, c’est qu’elle aussi avait un tic, différent du sien, mais elle en avait un. Il se demandait encore pourquoi il s’était laissé aller à la confidence et avait fini par lui dire – sans qu’elle ne lui demande rien d’ailleurs - que lui aussi avait un tic et que ce tic lui faisait préférer les échanges virtuels aux échanges réels. Elle avait alors répondu, comme si elle pensait à autre chose.
- Toute rencontre est le début d’une séparation ! C’est un proverbe japonais, précisa-t-elle.
Il n’avait pas su quoi ajouter, mais il se faisait maintenant la réflexion qu’on ne se méfiait jamais assez des petites phrases dites lors des premières rencontres ; certaines sonnent comme des devises et signent le destin de deux êtres. Il se souvenait que Ana, sa première amante virtuelle, avait terminé son deuxième mail par :
Je ne peux jamais aller très loin avec les hommes.
Il devait convenir qu’elle l’avait averti !
Seulement, il avait un défaut, sa ténacité, et les difficultés l’avaient toujours stimulé. Avec la fille du café de l’Echiquier, ils sortirent trois mois. Ils se voyaient tous les mardi, de 20 heures à 22 heures, chez Pascaline, pour manger, parler de tout et de rien – surtout de rien - puis il la raccompagnait chez elle, rue Ganterie. C’était le moment qu’il préférait car il essayait alors de la connaître autrement, sous la porte cochère du numéro 28, le seul endroit intime qui lui permettait d’apprendre son corps. Ses mains s’égaraient ici ou là et sa langue tentait de forcer en douceur le barrage de ses lèvres. Comme elle se montrait peu sensible au ballet de ses mains, il n’allait jamais vraiment très loin, tout en s’exaspérant un peu de sa froideur. Pourtant, cette mise à l’épreuve l’excitait plus qu’elle ne le désolait, et il ne désespérait pas de coucher avec elle. Ce mardi 27, dernier mardi du mois qui couronnait le troisième mois de leur rencontre, elle l’invita chez elle.
- Non, ce soir on ne va pas chez Pascaline ! Pour fêter nos trois mois de rencontre, Je t’ai préparé un repas japonais, lui annonça-t-elle en souriant.
Cette décision était si soudaine qu’il ne put s’empêcher de la trouver étrange, mais il accepta. Son appartement était situé au dernier étage d’un vieil immeuble et un petit escalier en bois y conduisait. Arrivée devant la porte, elle sortit sa clef, la tourna dans la serrure, ouvrit la porte et le fit entrer en lui prenant la main. Elle le conduisit jusqu’à une table basse où tous les mets étaient déjà disposés. Puis, sans qu’il s’y attendît, elle l’embrassa d’une façon insolite bien qu’agréable. Elle finit par détacher sa bouche de la sienne et lui dit dans un souffle.
- Sers-toi, ne m’attends pas, je reviens.
Cinq minutes avaient déjà passé et elle n’était toujours pas revenue, aussi suivit-il son conseil et commença-t-il à manger un sushi, puis un autre. Elle refit son apparition au moment où il avalait une bouchée. Il faillit s’étrangler car elle était presque nue, juste couverte d’un léger voile de tulle vert. Gêné, il ne sut quoi dire. Elle lui enjoignit de rester assis et de continuer à manger, ce qu’il fit docilement. Ils parlèrent peu. Après le plat principal elle annonça simplement.
- Ton dessert, c’est moi, viens ! Et elle lui désigna le canapé.
Il l’enlaça sans plus attendre mais fut vite embarrassé de ce tic qui faisait son apparition aux moments les plus intimes. Elle sembla s’en accommoder et, passée la première gêne, leurs corps s’emmêlèrent ; il eut même la satisfaction de l’entendre gémir. Il se sentait prêt à rester en elle toute la nuit, jusqu’à plus soif, mais elle se dégagea brusquement et lui annonça, en se redressant nue et fière, telle une amazone prête à bander son arc.
- Maintenant, pars !
Malgré sa surprise, il protesta.
- Tu es folle, on vient juste de faire l’amour et tu me renvoies comme un malpropre…
- Ecoute je t’ai prévenu la première fois : toute rencontre est le début d’une séparation ! Prends tes affaires et pars immédiatement !
En deux minutes, Il se retrouva à la porte de chez elle, penaud, ses chaussures à la main. Il s’assit sur une marche et attacha patiemment ses lacets tout en essayant de ne penser à rien. C’est à ce moment-là qu’il entendit de profonds sanglots de l’autre côté de la porte, mais il se garda bien de frapper, une « gifle » lui avait suffi !
Quand il se retrouva dans sa chambre, dans ce lit que personne d’autre ne connaissait à part lui, il souleva de mémoire le tulle vert qui voilait le corps de Marie – c’était son prénom et elle le lui avait caché jusqu’au dernier soir – et il refit en rêve le voyage de son corps…