For T. (Quartet)

Publié le 14 septembre 2008 par Thywanek
For T. (Quartet)
Ce que je trouve de particulièrement réussi dans Quartet, c’est bien la mise nue des personnages et leur exposition clairement universelle, au travers des anachronismes qui paraissent ici et là, pour soutenir le déplacement de l’argument de son temps pré-révolutionnaire français en un temps qui puisse aussi bien lui être antérieur, qu’actuel.
Qu’on ait, soit en lisant le livre de Choderlos de Laclos, ou en regardant le film de Stéphan Frears, pu trouver séduisants, attirants, fascinants, les personnages de Merteuil et de Valmont, parce qu’il apparaissent dominants, savants dans leurs actions comme dans leurs propos, d’une perception pleine d’acuité vis à vis d’autrui, habiles manœuvriers dans les relations qu’ils tissent et qu’ils gèrent, c’est assez logique : ce sont des héros noirs qui nous disent beaucoup de choses sur nous-même et sur ce qui nous guide si souvent dans notre existence comme recherche ultime : la liberté. Et nous pouvons également, et aisément, identifier telle ou telle part de l’imbroglio de nos liens avec d’autres, voire toute la pelote, aux intrigues qui s’élaborent au fur et à mesure du développement des rapports entre les protagonistes. Dans un jeu. Plus ou moins clair, plus ou moins tortueux, plus ou moins sincère, plus ou moins vain.
Une sorte de discours du contrôle et de l’idée de l’autre se dessine, peut se dessiner, en soujacence de ce que l’on ressent pour l’apparence et les apparats dont s’accompagnent la rouerie et le nihilisme de Merteuil et de Valmont tels qu’ils sont représentés dans Quartet.
Toute cette épaisseur, toute cette densité, tout ce raffinement, n’aboutissent en fin de compte qu’à s’assurer un contrôle sur l’extérieur, en foi de l’idée que l’on se fait d’un adversaire, d’un objet, d’une proie, d’un complice, ou quelconques autres instruments susceptibles de servir les vues, les objectifs, les ambitions de chacun.
Cette matière, si riche, si brillante, y compris avec sa noble cruauté – dixit Merteuil – cette capacité au calcul permanent comme un jeu où la jouissance précède la satisfaction, opère évidemment comme un aimant sur le goût que l’on peut nourrir, même confusément, pour ces formes aristocratiques de comportement, d’existence.
C’est l’histoire d’une tenue de soirée dont on a absolument besoin, alors qu’on pourrait bien ne la porter jamais.
Ce serait un recours, donc, si je lis bien, que d’exercer des talents semblables à ceux de la Marquise et du Vicomte, en guise d’absolution d’un chaos auquel vous seriez sujet ? On devrait alors pouvoir vous établir un petit livret, avec croquis et schémas : on nommerait ça « Dangerous Liaisons – directions for use » …
N’est-il pas notoire qu’on ne puisse plus inventer soi-même la matière dont se fabriquer, et qu’on se suffit pratiquement tout le temps à importer et à imiter ce que l’on voit, ce que l’on entends.
On le sait. C’est très difficile d’être soi. De n’être que soi. De ne pas céder aux facilités de cacher un secret, une pudeur, un manque, derrière un bout de masque ou de marque emprunter à un morceau de quelqu’un d’autre, ou communément adopté comme un signe de reconnaissance entre quelques uns. Plus ou moins nombreux. Plus ou moins foule.
Et puis, pour être tout à fait méfiant, il se peut qu’on joue.
Mais puisque même le jeu est de source grave, pourquoi ne pas chercher d’où il vient qu’il soit si rare, et si difficile d’être tout soi.
Quelque chose nous en empêche ? Selon une marotte qui me tient à cœur, j’imagine Merteuil enfant ; Valmont enfant. Non dans un pur but psychanalytique. Non pour dénicher des circonstances atténuantes : en ont-ils vraiment besoin ? Non, pour rien de tout cela. Pour retrouver un mouvement perdu. Pas celui de ces deux personnages. Mais quelque chose à quoi ils appartiennent néanmoins. A défaut que cela leur ait appartenu. Pourquoi cette enfance dont on nous dit, dont on nous a dit, que close désormais elle est définitivement un monde lointain devenu étranger. Pourtant c’est bien de là que vient notre théâtre. Rien de ce qui se fabrique autour de nous, et qui se développe en nous accompagnant, ne parvient, quelques soit le caractère dont cela est empreint, à expliquer ce chaos dont il est question, cette marge qui seule est quelquefois la route préférable. On se fond dans des décors. On prend des formes extérieures. On fouille en quête de panoplie gratifiante. Il en demeure, fait le tri et sélectionné ce qui nous va le mieux, un costume, je veux dire un costume mental. Fait de parts connues, déjà portées. Et fait d’un certain soi. D’un soi certain. Inédit. D’autant plus inédit qu’on s’en sera donné la liberté.
J’étais parti sur cette histoire de tenue de soirée indispensable et peut-être jamais utilisée. Car il peut arriver cela : dans la complexité et l’exigence qu’on met, si on en choisi l’option, à être soi le plus possible, on s’égare si longtemps pour retrouver les parts trahies au fil du temps, du jeune temps, le précieux dédaigné, et c’est aussi fréquemment si épuisant de remonter à soi ces éléments dont on ne sentait plus le contact qu’au fond des eaux où il nous arrive d’aller marcher de nouveau, lorsque l’écho du chaos se fait trop brutal, que lorsqu’on en est à se rassembler au mieux de soi le moment de paraître en tant que soi, est passé. Le moment pour lequel on voulait se préparer. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres moments. Disons qu’il y a souvent un moment important. Et puis d’autres qui suivent. Il n’est d’ailleurs pas toujours très commode de déterminer le premier, puis les autres, dans leur niveau d’importance. C’est peut-être même un avantage. Pour que se glisse alors une continuité.
Pour ce qui est de nos aristocrates décadents, on peut s’amuser à la morgue insolente du Vicomte, ou à la duplicité enjôleuse de la Marquise. On peut, justement comme à un jeu d’enfant, faire le noble élégant qui rend ses hommages empoisonnés à sa splendide maîtresse. Peut-être d’ailleurs êtes-vous moins étranger à leur monde que vous paraissez le craindre, car en matière d’expression tu n’es pas entièrement fondu dans l’innocence.
Ne négligeons pas, en tout cas, que chez ces gracieuses personnes, le verbe est une arme. Et qu’il n’en est pas fait usage pour se défendre, mais pour faire le mal. Et qu’en définitive on y voit un monstre d’orgueil accouché de vanité. Ambitionnez-vous d’être à la hauteur ? Ou avez-vous décidé de conquérir le monde – lequel ? – à force de rouerie ? Quelle étrange projet …
Et s’il s’agissait d’éclaircir le contenu de vos lacs-pièges, emprunter à la jubilation oratoire et au talent épistolaire des rôles du roman de Laclos et de la pièce de Heiner Müller, ne revient-il pas à nettoyer ses vitres avec du charbon ?
TàV