Le regard de Thierry Vernet
Regardez ce qu’il y a là : regardez-le de tous vos yeux, imprégnez-en vos cinq sens et votre âme suressentielle, car ce qui apparaît à l’instant est unique.
C’était un soir en Provence. Le jour n’en finissait pas de finir. L’on se croyait hors du temps, comme à l’abri de tout. Or de ce moment privilégié, non de béatitude passive mais d’adhésion généreuse au monde alentour, vous vous rappelez à présent la douce musique avec nostalgie en retrouvant ce ciel d’ambre velouté sur les tuiles chaudes et les arbres encore embrumés par la touffeur de fin de journée; et cette lumière orange vous remémore, aussi, vos interminables soirées en enfance, quand la nuit paraissait se retenir d’interrompre vos jeux.
Plus qu’un peintre de la lumière, au sens de la contemplation seule, Thierry Vernet me paraît un poète du dévoilement dont les visions ponctuent la démarche tantôt somnambulique et tantôt fulgurante. On est là comme dans un grand rêve d’une seule coulée, où les images et les figures du monde présumé réel se trouvent ressaisies et transformées avec ce surcroît d’être qui signale toute alchimie poétique, par le truchement de la seule peinture.
Car cela prime à l’évidence chez Thierry Vernet : ses visions, les événements qui le sollicitent, l’essentiel de ses Riches Heures tiennent d’abord à la peinture. Comme le poème naît des mots surgis de nos profondeurs, la vision de Thierry Vernet semble poussée toute faite, jaillie avec ses couleurs. Ce n’est pas dire que la toile se fasse toute seule, mais souligner un acte qui suppose à la fois une longue patience et une aptitude féline au bond.
Telle est la part contemplative de Thierry Vernet, son côté franciscain en sandales, modeste et ravi. Mais aussi, l’artiste fulgure. Il y a chez lui de l’incendiaire formel et du pyrotechnicien à polychromies effrénées. Est-ce bien le même peintre qui, dans certaines natures mortes ou paysages, touche au dépouillement des silencieux à la Morandi, tandis que, revenant de Java, le coloriste exulte dans la profusion ?
Oui sans doute : il n’y a qu’un peintre chez lui, au sens où sa matière, en se renouvelant sans cesse, reste toujours pétrie de la même pâte fluide à lueurs de sous-bois ou à éclairs, onctueuse ou brûlante, soumise au même geste impérieux, rapide et léger comme un coup d’aile, précipitant, à des vitesses opposées, la même vision.
Rares sont les peintres, aujourd’hui, qui nous apprennent encore à mieux voir. Or Thierry Vernet me semble de ceux-là…