« Une cinquantenaire sourit en dormant d’un rêve audacieux pour son âge : elle a pêché des carpes une bonne partie de la nuit en compagnie d’amateurs aguerris et trapus – quoiqu’ aux moulinets gracieux d’avant en arrière dans un bal de lignes vigoureuses ou paresseuses, mais toujours synchrones.
Au début du jour le chat de la maison d’à-côté se faufile par la fenêtre, s’introduit entre les draps et ronronne en collant sa truffe entre les yeux qui restent clos. La forme en cheveux rêve à présent sous la couverture d’un enfançon, d’un garçonnet assis contre elle et adossé à ses seins. Elle masse ses pieds de bébé avec de l’huile de sésame et fredonne une berceuse d’autrefois avec une jolie voix de mezzo.
A son réveil tout est clair. Sa force de conviction fait son bonheur tout neuf et repose sur l’évidence des indices. Au Japon les familles saluent l’arrivée d’un petit mâle dans la famille par l’achat d’une carpe - elle l’a lu dans un bouquin d’Amélie Nothomb -, le premier rêve est limpide comme sa rivière poissonneuse.
Le deuxième rêve avec son huile donne le sésame ouvrant la grotte aux trésors dans Ali Baba et les quarante voleurs. L’analogie avec l’intimité de son corps est presque gênante. Elle caresse furtivement son ventre sec et murmure deux ou trois prénoms comme ça, pour voir.
Que dire par la suite des chaussons bleus qu’elle commence à tricoter après un déjeuner de sashimis sous le regard éberlué de son mari ? »