Buzzati en ce moment précis

Publié le 16 septembre 2008 par Jlk

 

L’édition en Bouquins des Œuvres du grand écrivain italien a marqué le centième anniversaire de sa naissance.

Egalement parue en octobre 2007: la réédition de Poema à fumetti, son dernier livre, sous le titre d'  Orfi aux enfers, chez Actes Sud.


Dino Buzzati aurait eu cent ans le 16 octobre 2006, et c’est aujourd'hui encore et plus que jamais l’occasion d’évaluer, trente-cinq ans après la disparition de ce grand écrivain un peu snobé de son vivant, mais actuellement traduit en plus de 30 langues et faisant l’objet de constantes redécouvertes, l’héritage réel de l’auteur du célébrissime Désert des Tartares.
Parallèlement à la réédition du premier volume de ses Œuvres, contenant précisément son chef-d’œuvre, vient de paraître le second tome constituant, peut-être, la meilleure introduction à l’ensemble. Deux raisons à cela: la très éclairante préface de Delphine Gachet, responsable de cette nouvelle édition d’une rigueur critique accrue, et l’illustration de trois aspects majeurs de l’œuvre, avec deux romans (L’image de pierre et Un amour), trois recueils de nouvelles (L’écroulement de la Baliverna, Le K et Les nuits difficiles) et deux volumes de « carnets » encore peu connus mais qui constituent bel et bien le noyau de l’œuvre, tenant à la fois du journal de bord fragmentaire (jamais borné à la notation intimiste quotidienne), du recueil d’amorces de récits ou de poèmes, enfin du kaléidoscope de réflexions sur la société, les relations humaines, les choses de la vie et de la mort, sous les titres respectifs d'En ce moment précis et de Nous sommes au regret de...
Exemples à l’appui, Delphine Gachet montre comment Buzzati, du genre de scribe à écrire tout le temps, passait du journalisme à la nouvelle ou de la chronique au roman, avec le même souci de raconter dans une langue sans fioritures, dégageant les composantes mystérieuses ou révélatrices des scènes les plus quotidiennes. Ainsi le reporter va-t-il « couvrir » la construction du métro de Milan, dont le nouvelliste extrapolera les visions futuristes dans son Voyage aux enfers du siècle, l’un des récits réunis dans Le K. Visionnaire souvent prophétique, Buzzati semble pressentir, aussi bien, l’implosion de l’empire soviétique en décrivant (en 1954) L’écroulement de la Baliverna, et la nouvelle Le K, comme tant d’autres, fait écho à notre peur de la mort et au caractère fatal de notre destinée, avec le thème omniprésent d’une attente angoissée.
Malgré la grande variété de ses modes d’expression, de la poésie au théâtre en passant par la peinture et jusqu’à la bande dessinée des érotiques Poèmes-bulles, Dino Buzzati laisse une œuvre fondue en unité marqué par un ton sans pareil, qu’on pourrait dire d’inquiétude latente, où l’acuité critique le dispute à la mélancolie. Son originalité ne fut pas toujours saisie de son vivant, notamment dans son pays. Parfois considéré comme un épigone de Kafka, critiqué pour son non-engagement politique et social, quand il n’était pas relégué au second rayon pour son recours au fantastique ou à la science fiction, Dino Buzzati pourrait bien, cependant, résister à l’épreuve du temps mieux que certains de ses pairs.
Quoique parfois desservi par la traduction, Dino Buzzati fut cependant bien reçu en France où l’éditeur Robert Laffont, Albert Camus, et les professeurs Yves Panafieu et Michel Suffran, en firent découvrir l’exceptionnelle acuité des observations qu’il portait sur notre monde déshumanisé (des vues prémonitoires sur la violence dans la cité et l’inhumanité croissante des relations humaines), mais aussi la profondeur de son regard sur la solitude de l’homme contemporain, l’expression obsessionnelle de la fuite du temps ou la modulation de l’angoisse de l’individu perdu dans le cosmos, qui incita Michel Suffran à souligner son ton « pascalien ».
Cet aspect « métaphysique » se dégage particulièrement des fragments souvent fulgurants des « carnets » de Buzzati, dont les pages concentrées et cristallines semblent nous attendre, justement, « en ce moment précis »…

Dino Buzzati. Œuvres. Tome 2. En ce moment précis. L’écroulement de la Baliverna. L’image de pierre. Nous sommes au regret de… Un amour. Le K. Les nuits difficiles. Robert Laffont, collection Bouquins, 1152p. 2006.
Dino Buzzati en 7 dates
16 octobre 1906. Naissance près de Belluno, au pied des Dolomites. Père professeur de droit international. Etudes de droit, puis entre au Corriere della Sera en 1928. Y restera plus de 40 ans.
1933. Parution de Son premier roman, Barnabo des montagnes, marqué par l’esprit des légendes.
1940. Après Le Secret du Bosco Vecchio, Le désert des Tartares lui vaut la célébrité en Italie et à l’étranger. Correspondant de guerre.
1949. Suit le Giro pour le Corriere, où il donnera de grands reportages, des chroniques et des milliers d’articles et de textes à valeur littéraire.
1951. Participe, en tant que peintre, à une exposition collective sur le thème de la cathédrale de Milan.
1953. Sa pièce de théâtre, Un cas intéressant est jouée au Piccolo Teatro de Milan, avant d’être traduite par Albert Camus.
1966. Mariage avec Almerina Antoniazzi.
1972. 28 janvier, mort de Dino Buzzati, du cancer.

Peinture de Dino Buzzati. Ex Voto tiré de sa légende (imaginaire) de Sainte Rita

Comme vient de me l'apprendre mon camarade Michel Rime, spécialiste à 24Heures du rayon BD, une réédition de Poema a fumetti, nantie d'une nouvelle préface de Delphine Gachet, vient de paraître chez Actes Sud sous le titre d'  Orfi aux enfers. Les illustrations reproduites ici font référence (Dino Buzatti les cite d'ailleurs en remerciement) aux univers respectifs de Federico Fellini et Hans Bellmer.