Mon cher Victor,
L'Amour, c'est compliqué. Rude entrée en matière... J'espère que la suite est à la hauteur ! Comme tu le sais, il y a un peu plus de quatre mois, je me suis séparée d'un homme que j'ai aimé pendant quatre ans. Je sais, je sais... Tu dois t'en douter mais je songe de plus en plus à le remplacer. Le remplacer... Tu as raison, c'est un terme qui ne convient pas. Je ne le remplacerai pas. Personne ne le remplacera. Parce qu'il est parti avec sa place et qu'autre viendra avec un siège différent. Non, disons plutôt que j'ai envie de rencontrer quelqu'un. Jusqu'à hier midi, quand je me suis vue, toute seule, au milieu de mon foutoir, dans cette classe minuscule, à bouffer ma paella en me demandant comment il avait pu, comme ça, facilement, sans un mot., me balayer de sa vie d'un revers de main. A cet instant, je me suis aperçue qu'au delà de l'amour qu'il m'avait retiré, il m'avait aussi privée de toute confiance en moi, de toute certitude quant à ma valeur. Il m'a laissée me débrouiller avec le silence, les doutes, les hypothèses, l'incompréhension, tout ce qu'il n'a pas voulu expliquer, toutes ces excuses qu'il ne m'a pas présentées. Il est parti une semaine après avoir fait des pieds et des mains pour me reconquérir, une semaine après avoir passé la nuit avec moi en jurant qu'il n'attendait qu'un signe de ma part. Et puis ce coup de fil, sa voix dont j'entends encore toutes les intonations ("Tu voulais que je passe à autre chose, c'est ce que je fais."), sa froideur, son indifférence, son irritation, même. Déjà si loin. C'est la dernière conversation que j'ai eue avec lui. Il ne s'est jamais excusé. Je n'attendais pas d'explications alambiquées, vraiment, ni qu'il implore mon pardon pour son comportement plus qu'ignoble, non... J'attendais juste un peu de respect, un tout petit peu de respect, au nom de ces quatre années vécues ensemble. Au lieu de cela, rien. Démerde-toi avec ça, Mirabelle. Une fin lamentable, que je garderai en mémoire et qui assombrira le souvenir de ma première histoire sérieuse. Goût amer.
C'est une chose d'accepter la fin d'un amour. Je crois avoir accepté la fin du nôtre. C'est une autre affaire, bien plus minutieuse, qui demande bien plus de patience, que de se reconstruire, que de retrouver la foi en soi après une séparation silencieuse. Cette rupture sans cri, sans mot, sans explication, m'a juste laissé le droit de la fermer, larguée dans tous les sens du terme. Nous avons cessé d'exister l'un pour l'autre, brutalement. J'ai tout jeté, supprimé adresse et numéro de téléphone, effacé toutes les photographies, déchiré toutes les lettres, donné les vieilles peluches. J'ai tout fait pour oublier. Je ne sais pas ce qu'il fait, je ne sais pas où il est... Je sais juste que si je le croisais dans la rue, je l'ignorerais.
Tous les jours, depuis ce fameux mercredi après-midi, je vis avec l'idée que je ne vaux même pas une explication. Que je ne vaux même pas une excuse. Tous les jours, je vis avec l'idée que quelqu'un, qui a partagé ma vie pendant quatre ans, m'a rayée de son existence comme si je n'avais été qu'une vague aventure, un coup d'un soir. Ooooh, Mirabelle ! Excuse la vulgarité, mais je ne vois que cela pour exprimer l'incompréhension qui m'habite. Il est dur, pour moi, d'accepter de ne pas comprendre, dur de vivre avec l'idée que je ne comprendrai sans doute jamais, dur d'accepter qu'il ait pu, d'un claquement de doigt, considérer que je ne méritais même pas l'égard d'une explication, même succinte.
Cette histoire n'existe plus que pour moi, de toute façon. Dans ma tête, et seulement dans ma tête. Lui-même n'existe plus que dans mon esprit. Il est toujours là, quelque part, mais je sais que je ne le reverrai jamais. Et quand bien même l'occasion se présenterait... Tu ferais tout pour l'éviter ? Exactement. Tu vois, hier midi, j'ai réalisé que j'étais incapable d'entamer une nouvelle relation pour l'instant. Pour plaire à quelqu'un, il faut d'abord se plaire à soi-même et je suis encore loin de ce stade. Avant de penser à me faire aimer, il faut que je m'aime, moi. Que je parvienne à me regarder dans le miroir sans éprouver de dégoût. Que je me fasse confiance. Que je sois convaincue que si d'autres ont droit à la famille, au mariage, aux gamins, à la vie à deux, j'y ai droit aussi. Que je ne suis pas moins bien qu'une autre. Et puis surtout, que j'arrête de me voiler la face : il me faudra encore beaucoup de temps pour me sentir prête.
Tant pis si tout ce que je viens de te dire est d'une banalité à pleurer, tant pis si je ne suis ni la première ni la dernière à m'être faite jeter avec inélégance. Je lis et entends, très souvent, des histoires semblables à la mienne, des histoires de femmes (et d'hommes, parce que bien sûr, il n'y a pas que les hommes pour être odieux !) qui se sont fait piétiner sans ménagement. Des histoires d'amour qui commencent avec du respect, de la tendresse, et se terminent dans les larmes et l'incompréhension, l'irrespect le plus total. C'est malheureux mais c'est ainsi... Humm... C'est ça aussi, l'Amour, il paraît.