Economie de l'environnement (un)

Publié le 18 septembre 2008 par Saucrates

Réflexion six (13 janvier 2007)
Complément sur les ordres de justification
(tiré des travaux de Olivier Godard)

Nous avons parlé précédemment des différents ordres de justification déterminés par Boltanski et Thévenot. De quelle manière peuvent-ils appréhender des concepts tels la durabilité du développement ou l'environnement ? Ces paragraphres tirés des recherches d'Olivier Godard permettent de s'en faire une idée.
« Les sociétés occidentales démocratiques sont pluralistes, avons-nous reconnu plus haut. Elles disposent de plusieurs référents de base pour qualifier une situation, surmonter des conflits, juger d’une hiérarchie de valeur ou déterminer l’action qui convient ... Selon les situations et les problèmes en jeu, tel ou tel ordre de justification apparaîtra comme plus pertinent que les autres, c'est-à-dire approprié à la situation et aux valeurs qu’elle engage aux yeux des agents qui ont à s’accorder avec autrui ...
Ainsi, du point de vue de l’ordre industriel, la 'grande' nature est celle qui est valorisée productivement (les grandes cultures céréalières, les grands barrages, etc.) ; la 'petite' nature est celle qui est improductive, imprévisible, capricieuse, tel le fleuve au débit erratique qui ne cesse de déplacer son lit et qui ne permet pas la navigation. Dans cette perspective, la biodiversité importe, selon la métaphore du garde-manger, comme source potentielle d’innovations futures dans le domaine de la pharmacie, du génie génétique ou des nouveaux matériaux. Ce regard débouche sur une problématique de la meilleure stratégie de conservation in situ ou ex situ des ressources potentielles appréhendées de façon individuelle. Si cet ordre se soucie de la diversité des écosystèmes, ce n’est que dans la mesure où elle conditionnerait la préservation de ressources génétiques potentiellement de grande valeur ou tout autre valorisation productive compétitive.
L’ordre civique est centré sur la souveraineté des citoyens formant communauté et sur la valeur d’équité entre les générations présentes et les générations futures. Chaque communauté revendique des droits sur son environnement et les ressources qu’il abrite mais, dans le même temps, affirme le droit des générations successives à bénéficier de cet environnement. Il en résulte une obligation pour chaque génération de veiller à transmettre cet environnement commun aux générations suivantes afin de respecter équitablement les droits de chacun ; cette exigence est strictement indépendante de l’usage que chaque génération fait ou ne fait pas de ce droit de jouissance de l’environnement, dès lors que le fonds n’est pas entamé.
Pour l’ordre domestique, qui est le principe symbolique de représentation de la société humaine sur le mode de la famille, enracinée dans un territoire et inscrite dans un lignage, il est essentiel à la définition même du groupe patrimonial de revendiquer la possession du territoire au nom d’une histoire d’interaction entre hommes et milieux, mais aussi de veiller au lien intergénérationnel à l’intérieur de ce groupe et donc de faire que le patrimoine reçu soit retransmis. L’enjeu n’est pas ici l’égalité de principe de tout homme membre de la société, mais celle de la survie physique et culturelle d’un groupe patrimonial déterminé. L’impératif de transmission ne porte que sur les éléments patrimoniaux, c’est-à-dire ceux à qui est attribuée une dimension identitaire et ceux qui représentent des ressources essentielles pour la survie.
Pour l’ordre de l’opinion, la biodiversité est intéressante par ses êtres les plus fameux : les baleines, les phoques, les girafes, les lions vont alors tenir un rang que n’auront pas les moustiques de différentes espèces que l’on peut trouver au fin fond de la forêt tropicale. Il y a ainsi des hauts lieux de l’imaginaire partagé et un panthéon des espèces qui suscitent l’émotion et prennent valeur emblématique, des bébés phoques au panda. Ces êtres reçoivent alors une valorisation sans commune mesure avec la nature ordinaire, d’une façon qui ne correspond en rien aux hiérarchies que l’écologue pourrait établir.
Pour l’ordre marchand, la biodiversité ne vaut qu’à la mesure des activités marchandes qui peuvent se greffer sur elle, le plus souvent sur le mode de l’exploitation de ressources naturelles. Comme cela a été indiqué plus haut, ce n’est alors pas la biodiversité en tant que telle qui importe et qui se trouve directement valorisée. Elle apparaît le plus souvent comme un facteur de modulation de la productivité de certains investissements, comme le montre l’incidence indirecte qu’elle peut avoir sur la valorisation des activités touristiques. Il peut même exister des entreprises privées de valorisation d’une biodiversité enclose pour des écotouristes.
Tout autre est l’ordre appelé inspiré. Ce dernier instaure un rapport au monde physique et social 'ici et maintenant' qui est appréhendé en référence à un au-delà et un ailleurs, source transcendante du sens. Il n’est cependant accessible qu’au travers de l’expérience sensible autorisée par une incarnation, mais en dépassement de cette dernière. Cet au-delà peut être religieux ; il peut également renvoyer à des formes atténuées ou sécularisées du religieux, comme lorsque la nature se trouve sacralisée ou chargée d’une dimension mystique. Les êtres qui la peuplent sont ici appréciés selon une valeur d’unicité et de non-commensurabilité. Une ascèse à la fois physique et morale est exigée des hommes pour faire d’eux des initiés jugés dignes d’avoir accès à la beauté et à la grandeur de la nature. La biodiversité est ici appréhendée comme spectacle d’une richesse donnée à profusion et initiation au mystère de l’être. Elle appelle non l’usage, mais la contemplation. »
(source : travaux d'Olivier Godard)