Petite fourmi
Publié le 18 septembre 2008 par Nathalie Seguenot
Pas à pas. Pied après pied. Pas à trépas, elle trottine. Se dandine. S’églantine au cœur.
Petite fourmi. Elle s’agite, se contorsionne puis s’effrite. Elle est toute petite. Tôt le matin, elle se lève pour endosser une blouse gris-bleu. Malgré tout, elle affiche un sourie. L’usine est grande et des millions de petites fourmis, comme elle, envahissent les allées et venues. Des rangées de machines égratignent les pensées. Toute la journée, l’esprit est vide. Toujours le même geste : décortiquer des crevettes. Les mains se gèlent, se crevassent et s’achèvent dans un cric crac cric assourdissant. Tous ces doigts de femme cherchent, trifouillent, ôtent, rejettent. Carapaces disloquées. Comme ces vies qui s’agglutinent autour du tapis roulant.
L’hiver le soir est noir. Déjà. Tout comme le matin. Privée de jour et de soleil. Elle rente chez elle, fourmi abîmée et tassée par tant de travail journalier. Ses pas la guident et son appartement la reçoit. Douceur relative. Elle s’abandonne sous l’eau tiède. Débarrassée de cette odeur qui s’imprègne et se noie en elle. Ses cheveux, ses habits, ses soucis, ses croyances en Dieu.
Le crucifix trône au dessus de son lit. La vierge Marie se love au beau milieu de son salon. Et tous les saints voisinent avec le poisson rouge, seule âme vivante dans cet aquarium. C’est ce qui lui donne le sourire, à la petite fourmi. Une prière, une messe, un Ave Maria et trois Pater. La religion l’accompagne comme un bouclier contre des guerriers invisibles. Dernier rempart de son âme. Elle se protège de tout mais lui confie tout. Ses longues journées debout, son corps qui tourne fou, ses mains qui sont à bout. De course et de souffle. Souffler n’est pas jouer. Elle ne joue plus. Depuis bien longtemps.
Les hommes n’existent plus. Lointain souvenir d’un amant trop orgueilleux. Fini. Le temps est à la divination. Malgré son dévouement au Très Haut, elle consulte voyante et magicienne. Son avenir est ainsi tracé dans les lignes de sa main. Gelée, crevassée, achevée. Elle se laisse deviner, raconter, exploiter. C’est son bonheur. Que voulez-vous ?
Petite fourmi. Seule et placée là au hasard de la vie, elle déambule dans sa bulle.