T’as posé tes mains bien à plat sur la table en formica et je voyais bien que t’étais en train de perdre pied. Je pensais en me répétant « ta gueule » intérieurement : cette fois, on y est.
Je pouvais encore sentir la chaleur dans ton corps, tout ce qui se bousculait dans tes veines et imaginer combien tu allais t’enfoncer là tout de suite sous les lattes du parquet flottant.
Mais je pouvais plus parler.
Il y avait une tâche d’eau sur le plancher pas ciré, j’ai continué de la fixer.
Je crois que tu contenais tellement l’explosion et l’effondrement que ça empêchait même tes cils de trembler.
La retenue. Ta spécialité.
Je voulais te dire merci pour ça, mais je ne pouvais pas.
Aucun son ne sortait. Rien ne se passait.
Avant je pensais que d’annoncer ce genre de mauvaise nouvelle c’était comme de trahir l’autre. Là je savais que je ne t’avais pas trahi, juste démoli. Faudrait reconstruire après.
Qui sait faire ça sans plier ?
Pas nous.
Tu ne m’as pas regardé en suppliant et larmoyant. On voit ça des fois au ciné. Mais toi t’as jamais rien fait comme dans les films. Rien.
Merci pour ça encore.
Je croyais que t’allais te mettre en colère et m’engueuler parce que c’est un truc que t’avais déjà fait avec nous. Sauver la face.
Rien. Que dalle. T’as rien tenté.
Peut-être balancer une vanne et faire un plan poisson d’avril pour me faire marrer ?
Toujours rien. Ton silence + le mien.
C’était tellement lourd que j’ai commencé à hésiter. J’ai tiré sur les manches de mon pull et j’ai mordillé l’ongle de mon pouce.
J’attendais.
T’as relevé la tête, j’ai vu tes yeux.
Tu m’as dis :
- Pourquoi ? J’comprends pas…
Moi nan plus je comprenais pas. J’avais aucune réponse à ça.
Je comprenais pas, aucune réponse à ça…aucune.
Alors j’ai posé mes mains sur les tiennes histoire de les réchauffer et de nouveau je t’ai entendu respirer.
Sur ce truc là j’ai failli chialer, en me demandant finalement, qui de toi ou moi venait d’être repêché…
Personne ne peut expliquer, c’est mort d’accord mais c’est pas noyé…