Magazine Journal intime

Secrétaires : Du Fantasme A La Réalité.

Publié le 19 septembre 2008 par Mélina Loupia
Ou comment alors que je n'avais pas remis le couvert à ce sujet, j'ai relancé le débat sur la déscolarisation. Quel rapport avec une hypothétique soubrette du secteur tertiaire prête à toutes les figures de gymnastique réalisées sur bureau pour assouvir les fantasmes les plus inavouables de tout patron libidineux qui se respecte? J'y viens. Depuis trois semaines que l'avenir du pays s'est replongé dans ses livres et ses cahiers pour repousser l'échéance du chômage, je constate que le capital sommeil et fatigue de mon aîné a tendance à sérieusement prendre cher. Quand on a quinze ans, avoir un emploi du temps et des journées rythmées comme un ouvrier de banlieue parisienne, ça va cinq minutes. Levé à six heures, il prend le bus une demi-heure plus tard, enchaîne ses huit heures le cul vissé sur une chaise, la scoliose en plein essor, il se retape la même rengaine le soir et dormirait presque dans ses nouilles en rentrant à vingt heures, soit une heure plus tard que son père et trois que ses frères. Quant au week-end, il est de fait et forcément studieux, même plus le temps de devenir nolife ou de se fabriquer de la corne à l'intérieur de la main gauche. J'ai décidé de sauver ce qu'il restait de son adolescence et de tout le lot d'emmerdes qui va avec, la semaine dernière, au moyen des petits billets réservés à la demande de rendez-vous avec les différents services du lycée. J'ai comme on dit sollicité une entrevue avec le Proviseur, afin d'envisager, dans la mesure du stock disponible, le placement en internat du jeune en état de décomposition. Ce dernier a oublié de présenter le mot pendant trois jours et j'ai moi-même veillé à ce qu'il n'oublie pas mercredi matin en faisant l'énorme effort de me lever avant lui afin d'apposer une grosse croix rouge sur le dos de sa main gauche en grève, alors que mon tout petit était tout à rêver de sa promise, qui serait bien réelle s'il en avait le temps. Il est rentré triomphant à quatorze heures, et tout en gobant son ketchup agrémenté de coquillettes, me dit ceci: "Au fait, c'est bon, j'ai montré le mot! -Bien! Donc, c'est quand? -Bé c'est quand tu as marqué dans le mot pardi! -Sur le mot, j'ai inscrit comme demandé mes disponibilités, à savoir le mercredi, entre sept heures trente et dix-neuf heures. -Et bé je te dis que c'est bon, tu as le rendez-vous! -Il s'agit d'une fourchette horaire, destinée à définir un rendez-vous à une heure précise. -Oh écoute, je sais pas moi, la secrétaire a dit " C'est bon." -Elle a rien dit d'autre? -Si, mais j'étais pressé, j'ai pas entendu, je serais arrivé encore en retard en maths. -Oui, mais en même temps, tu étais au bon endroit pour te faire faire un mot de retard. -Oui, mais j'aurais été encore plus en retard. -..." Je claque la porte du cellier qui bien souvent, me sert de défouloir, prends le téléphone, mon meilleur ennemi et compose le numéro du lycée. "Bonjour, je suis Madame Swhernereupeu -le nouveau bruitage qui consiste à masquer l'identité des témoins télévisés en passant la bande à l'envers-, la maman de Raftuphi Swhernereupeu,-ça foutrait presque la trouille- 2nde12, j'ai demandé un rendez-vous avec... -Quittez pas. Me coupe promptement une voix de Roger mal embouchée dans mon élan et tous les efforts de syntaxe que j'avais fournis. -La vie scolaire bonjour? -Bonjour, et donc, le Proviseur pour un mercredi, mais visiblement, je n'ai pas obtenu un horaire précis. - Quittez pas, je vous passe la loge. -La loge bonjour? -Re-bonjour, je disais donc, avant que vous ne me coupiez littéralement la gueule que je désirais obtenir un rendez-vous précis avec le Proviseur pour... -Je vous passe la vie scolaire. -Att... -La vie scolaire bonjour? -Re-bonjour, j'ai la sensation d'effectuer le tour de la maison en rond, pas vous? -Mais vous avez eu la loge? -Oui, qui m'envoie sans ménagement vers vous. -Pourtant, c'est la loge qui confirme les rendez-vous, je vous la repasse. -Vous p... -OUI LA LOGE? -Ne vous méprenez surtout pas, Monsieur le logeur, mais quoi que je fasse ou n'aie le temps de dire, c'est visiblement à vous qu'incombe la tache de me fixer un rendez-vous précis et pas une fourche à purin horaire. -Bon, on vous a dit quand? -On m'a dit ni quand ni où, juste je sais que c'est bon pour un mercredi entre sept heures et dix-neuf heures trente. -Bon, je dois utiliser l'ordinateur, quittez pas. -Non là, je vous lâche pas, je vous promets. -Bon, en effet, le rendez-vous est pris. -Et comment on fait, on arrive tous à l'ouverture, on prend un ticket, un Gala et on attend son tour? -Bé non, on arrive cinq minutes à l'avance, on prend juste le temps de s'annoncer, de s'asseoir et on entre dans le bureau du Proviseur. -Oui, mais comment voulez-vous que je me pointe cinq minutes avant l'heure du rendez-vous puisque je n'ai pas d'heure de rendez-vous? Je pensais que c'était que chez le gynécologue qu'on attendait huit heures. -Mais madame, si vous m'aviez laissé finir, je vous aurais dit que votre rendez-vous est fixé à neuf-heures trente, pour faire une demande d'internat pour votre fils, il vous l'a pas dit? -Si, bien-sûr, quelle question, mais j'appelais pour confirmer en fait. -Et bien c'est fait, mercredi prochain, à neuf-heure trente. -Vingt-cinq. -Si vous voulez. -Je vais où? -Venez à la vie scolaire, on vous indiquera la loge." Je raccroche en balaçant le combiné dans l'évier du cellier, dépèce une cigarette histoire de manger directement la mort, replace ma mèche rebelle dans le bon sens de la marche et sors digne de ma cabine téléphonique. "Alors? -Alors, si ça continue, je te déscolarise et commande des cours de secrétariat pour toi, hop, un BEP tertiaire, ça te dit? -Non, on nous a dit que le secteur tertiaire était saturé, moi, je veux être mangaka, tu le sais. -C'était pas comédien ou footballeur si ça marche pas? -Et c'est reparti... -Bien-sûr que c'est reparti, attends, je te demande de confirmer un rendez-vous et tu n'écoutes que le futile. -Mais elle a dit c'est bon! -Et elle a continuer de bouger ses lèvres juste après, ça veut dire qu'elle manifestait le besoin de t'en dire un peu plus, à savoir l'heure du rendez-vous. -Elle avait qu'à le dire. -Elle l'a dit, mais t'étais déjà dans le couloir. -Elle avait qu'à crier elle aussi, si elle sait pas faire son boulot et savoir qu'elle a un adolescent mal dans sa peau, tête en l'air et soupirant pour un rien, elle a qu'à pas faire secrétaire dans un lycée." Il a toujours raison, ce ptit con. C'est à ce moment-là que j'ai vaguement hésité entre le changement d'orientation et la déscolarisation de mon enfant. Mais rien qu'à l'idée de devoir effectuer toutes les démarches administratives par téléphone, j'ai soupiré de désespoir et me suis vautrée comme une mère démissionnaire dans le canapé, Les feux de l'amour allaient commencer et Cassie devait normalement claquer dans l'épisode, je pouvais pas rater ça.

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