Je revenais d’un autre rêve de pays de pierre et de vent. J’avais dormi ces nuits enroulé dans une peau d’ours, abrité des chutes d’étoiles par une feuille de Vélin d’arches que je débitais le jour en infimes rubans. C’est sur ceux-ci que j’ai commencé d’écrire mon épopée de l’Abyssin. Ensuite de quoi je fus à Cortone.
De Florence on grimpe dans le Chianti, le long de l’Arno au bord duquel se desquament de silencieuses anciennes fabriques. Puis il y a une très longue, rude montée redoutée du vélocipédiste, au sommet de laquelle un farouche enfant fait à tout se livre avec des complices à un âpre négoce de limonade. Plus loin, entre les pins, se distinguent bientôt les premiers palais d’Arezzo, cité de l’Arétin (poète érotique mineur) et de Pétrarque (poète érotique majeur). Une halte s’y impose quand les fresques de Piero ne se trouvent plus assiégées par la meute étourdie. Mais pour lors on continue et treize kilomètres plus loin, en contrehaut, s’étagent les murs ocres et les toits roses de Cortone. Une dernière féroce montée et voici la petite place pavée en pente du bourg qu’encerclent le palais municipal et les hautes maisons des notables et trois cafés (il a trois partis influents) et le coiffeur (on dit il barbiere) et l’église devant laquelle siège depuis sept siècles le bossu (il gobbo) de père en fils.
L’Italie fout le camp à divers égards mais ses bossus demeurent et teigneux comme il sied. Les vieux sont aussi là pour accueillir l’étranger, lequel se dirige bientôt non vers l’hôtel voyant dont le prospectus vante le mobilier suédois, mais, à l’opposite, vers l’albergo décati dont les chambres dénuées de tout ne coûtent rien et donnent sur la plaine et les brumes du lac de Trasimène et le lointain mouvant des collines les plus douces de la Terre.
Et tout est d’ailleurs comme ça à Cortone : tout est à la fois populaire et civilisé, fragrance de jardin de monastère et vin de pays, tout est nature et culture, boxe et monnaie de chewing-gum, tout est ciel au bord du sud noir.
Par exemple on monte le long des ruelles aussi raides que la raide pente de la montagne maintes fois gravie à genoux par les ascètes des déserts d’en dessus et les pécheresses majeures ou mineures, et des maisons de pierre, de part et d’autre de la rampe ardue, s’échappe la même sublime idiote rengaine de Gigliola Cinquetti que reprennent en chœur les jeunes filles alanguies dans la torpeur pénombre. Un peu plus haut, dans les buissons d’épines, commence le chemin de croix modern has been de Gino Severini au bout duquel gît la béate Santa Margherita dans une sorte de châsse de pharaon femelle.
L’église est une horreur mais de là-haut se découvre le paysage jusqu’à Pérouse et Jérusalem. La dernière fois que j’y fus, en été torride, j’y avais lu, dans un volume salée d’eau de la mer Egée et tanné par tous les soleils, les lettres de Maxime Gorki à Tchékhov. L’une d’elles évoquait La dame au petit chien et Gorki notait avec une reconnaissance que je fis mienne aussitôt : « Après le plus insignifiant de vos récits tout semble grossier, écrit non pas avec une plume mais avec une bûche. Avec vos petits récits vous faites une très grande chose, vous éveillez chez les gens le dégoût de la vie somnolente, à demi morte, vos récits sont comme des flacons élégamment ciselés qui contiennent tous les parfums de la vie ».