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"Le terminus de la mode" par Gerald Mazzalovo

Publié le 21 septembre 2008 par Michelgutsatz

Gerald Je suis très heureux d'accueillir sur BrandWatch un grand professionnel du luxe, Gerald Mazzalovo. Gerald, après avoir été CEO de la filiale US de Ferragamo, a été CEO de Loewe puis de Bally. Il est maintenant consultant auprès de nombreuses marques de luxe. Voici son premier article.

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Nous nous sommes habitués à ce que la mode soit accusée d’une grande partie des maux de notre société : image artificielle de la femme, promotion de l’usage de la drogue, frivolité, matérialisme, élitisme, pornographie, plagiat,… 

Ce sont, désormais, les acteurs même du système mode qui le critiquent le plus âprement et qui remettent en cause ses fondements. Témoin, un article de Guy Trebay paru dans le New York Times et repris dans le supplément du Monde du 20 septembre 2008. L’essai s’intitule: “On the endless runway, a fading aura” et il cite notamment le designer espagnol Miguel Adrover après son défilé de New York, qui déclare: ”you don’t feel like digging for meaning right now in fashion, because you dig and dig, and you don’t find nothing” et encore “everything next, next, next, everything VIP, it’s an empty idea”.

Comment expliquer que les créateurs, qui sont supposés être les colonnes portantes du système mode et donc ceux qui offrent justement du sens aux consommateurs au travers de leurs créations, en arrivent à un constat qui ébranlent les fondements même du système ?

J’y vois deux raisons. La première est liée à l’intensité du travail créatif imposé par les marques aux bureaux de création. On estime à 3 000 par an le nombre de produits à créer pour une marque de mode proposant prêt-à-porter et accessoires (sur ce sujet voir le livre que Michel Chevalier et moi-même avons publié récemment : « Management & Marketing du luxe » : ). Les logiques de volume finissent par prévaloir aussi au niveau créatif, avec l’impact négatif possible quant à la qualité et la pertinence des propositions. Il y a des limites quantitatives à la création, surtout quand les sanctions arrivent du marché de manière implacable.

La seconde raison réside au niveau des finalités même du travail créatif pour une marque de mode. L’essai de G.Trabier insère justement le déclin du système mode, dans sa capacité de proposition de sens, dans un contexte plus vaste de “vide (hollowness) de la production esthétique contemporaine”.

Il existe en fait 3 finalités principales à toute production esthétique : la représentation, la décoration et l’utilitaire.

  • La finalité de décoration, c’est chercher à faire beau, décorer, remplir les vides, plaire par la couleur, la forme, les matériaux.
  • La finalité utilitaire, c’est tout simplement ajouter un fermoir pour pouvoir fermer la poche d’un sac.
  • La finalité de représentation, c’est principalement promouvoir les valeurs de la marque, sa vision du monde. Ce que l’on appelle l’éthique de la marque.

Les symptômes de la crise de la mode, comme incapable de proposer du sens, résident en partie par l’oubli de la première finalité : la mode ne se concentre pas suffisamment sur les finalités de représentation.

Autant les finalités utilitaires et surtout décoratives sont constamment et naturellement présentes á l’esprit des équipes créatives, autant les finalités représentatives sont négligées ou ignorées. Assurer une constante poursuite des finalités représentatives du travail créatif, nécessite une organisation et une culture au service d’un renforcement permanent de l’identité de la marque et de sa notoriété.

L’article de G.Trebay reflète combien peu de marques de mode se posent la question du sens qu’elles proposent à leurs clients. La sémiotique qui étudie justement les mécanismes de production de sens, propose de nombreux instruments de gestion des marques. La notion d’identité de marque, comme articulation de ses signifiants et signifiés invariants, est au cœur de l’approche sémiotique. Les signifiés représentent les valeurs auxquelles croie la marque. On peut prendre comme exemple le mythe du voyage, de l’ailleurs, l’universalité, la contemporanéité exprimés par Louis Vuitton au travers de ses campagnes de publicité montrant Gorbatchev, Coppola, Agassi et même… Keith Richards pour le « néo-conformisme ». C’est l’éthique de la marque.

Les signifiants sont constitués de tous les supports sensibles en interface avec les consommateurs : produits, publicité, magasins, site web, etc. C’est l’esthétique de la marque et le traitement de cette esthétique doit poursuivre pleinement les 3 finalités mentionnées précédemment. Sans jamais négliger la finalité représentative, sous risque de ne plus produire de sens et de se contenter de faire beau. Une partie du mal de la mode d’aujourd’hui est là, car certaines marque ne cherchent pas même « à faire beau » mais simplement « à faire surprise ». Probablement le sujet d’un prochain article…

Les logiques de gestion de marque prévalent dans de nombreux secteurs et en particulier dans celui de la mode. Pourtant la notion d’identité de marque et ses conséquences sur la gestion y sont moins répandues que ce à quoi on pourrait s’attendre d’un monde aussi dépendant de l’apparaitre. Produire du sens, de façon constante, pertinente et différenciée est en fait le défi premier pour assurer la pérennité d’une marque, de mode ou non.

C’est croire en la nécessité, pour une marque, d’entrer en une relation de type cognitif et non seulement expérientiel avec ses consommateurs.

C’est aussi croire que pour rester compétitives les marques de mode, au delà des frivolités et des provocations gratuites, doivent proposer des valeurs auxquelles les consommateurs trouvent sens et plaisir à y adhérer. 


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