Ca y est, je suis vieille ! Has been ! Ringuarde ! Mais, diront les méchantes gens, tu t’en aperçois seulement maintenant ? Ben oui… et par le petit bout de la lorgnette, en plus. J’explique.
Vendredi, je revenais gentiment d’une interview vers l’autobus, direction le journal lorsque je fus obligée, travaux aidant, de longer les quais pour rejoindre l’arrêt déplacé. Soleil doux, jolie journée d’automne, veille de week end, c’était plutôt plaisant et j’en vins à penser, pour mon malheur, que cela faisait des lustres que je n’avais pas chiné chez les bouquinistes.
Je traversais la rue avec appétit pour me heurter tout d’abord à une longue enfilade de boîtes vertes bien cadenassées. Ah, dommage… Mais qu’à cela ne tienne, cinq cents mètres plus bas, j’avisais quelques étals bien ouverts. Hélas : des cartes postales, des affiches, des reproductions plus moches les unes que les autres, des petites tours Eiffel en plastiques made in China et des arcs de triomphe montés en presse-papiers, mille et un machins pour les touristes mais de livres, point. Quelques couvertures de Paris Match, oui… Un ou deux livres de photos, invendus de chez invendus, nuls et laids.
J’osais la question d’une voix naïve : madame, où puis-je trouver des romans ou des essais ? “Des romans et quoi ?” brailla la dame. “Euh, des essais… des livres politques…” bredouillai-je, un peu lamentable. “Ben, faut aller dans une librairie si vous voulez des livres”, trancha la dame avec le regard d’une marchande de légumes à qui l’on demanderait un pain et une baguette. Vous avez la Fnacachatelé et Gibersulboulvard, derrière vous”. “Ah oui, mais voyez-vous, je voudrais acheter des vieux livres, des occasions, des choses introuvables. Quand j’étais lycéenne et étudiante, je venais souvent me ravitailler ici…” “Ah, mais madame, les temps changent ! aboya la dame. Pour les livres, c’est plus ici mais dans les librairies. Et si vous z’avez pas les moyens, faut aller à la bibliothèque !” Pouf, le couperet était tombé. Du balai, les pauvres. Ici, c’est le règne de l’argent. Celui qu’on extorque aux touristes en leur vendant des horreurs au prix de l’objet ancien et en leur fourguant de fausses reproductions de Redouté au prix d’une vraie litho de Moretti. J’étais tellement déçue que j’ai failli acheter une petite peinture à la jeune fille d’à côté, qui tentait - sans grand talent mais avec beaucoup d’application - de saisir la lumière chatoyante des arbres face à des berges de Seine rendues aux promeneurs solitaires. Mais même à titre de faute-de-mieux, je ne m’en suis pas sentie le courage.
Je vieillis, vous dis-je !
Peinture signée Canelle, plus intéressante que celles exposées à prix d’or sur les quais.