Magazine Journal intime

Faute De Grives, On Mange Des Merles.

Publié le 24 septembre 2008 par Mélina Loupia
Faut pas se leurrer. En ce moment, à la maison, c'est pas vraiment Tony Danza ni Niles qui m'assistent dans mes lourdes tâches et taches quotidiennes pour faire de cet enfer domestique un vrai petit nid douillet qui fleure bon le Fébrèze et le Lénor. En clair, et mis à part quelques extras payés au black en bisous et autre cochoncetés le soir tard dans le noir, j'exécute le minimum syndical d'une technicienne de surface. Si j'admets facilement ignorer la poussière en sédimentation sur les meubles importés, les troupeaux de moutons sous les lits, la corbeille à linge en perpétuel vomissement et le canapé jonché de fringues à plier ou repasser, en revanche, le moindre ustensile de cuisine ou de vaisselle qui transite dans l'évier plus de cinq minutes a tendance à me faire l'effet d'une fourchette sur un tableau noir de la plus belle ardoise. Je supporte pas ça. Sauf l'autre jour, mais c'était vital. Donc, hier soir, comme tous les soirs depuis le premier soir où, tels de jeunes mariés passant le seuil de la chambre nuptiale, prêts à s'arracher le costard et le corset pour jouer à la bête à deux dos, j'ai lancé fièrement le premier programme du lave-vaisselle dans le cellier encore tout adolescent de peinture fraîche, voilà que je donne un grand coup de latte dans sa porte afin qu'il comprît qu'il était l'heure de la douche. Juste je me souviens d'avoir sauté l'étape du savonnage. Et pour cause. Je m'aperçois avec stupeur qu'au fond de la boite en carton recyclable non-recyclé, plus aucune tablette hydrosoluble ne squatte encore les lieux. Mon front se noie dans des sillons de sueur, mes mains tremblent en même temps que mon menton et j'anticipe déjà sur la catastrophe du lendemain, et celle de son lendemain à lui. "Putain de merde, mais comment j'ai mal négocié le stock de tablettes, y en a plus. -Y en a plus? -Si, y en a, mais j'ai envie de rigoler ce soir et de jouer à " Putain de merde, y a plus de tablettes. -Oh tu te détends, tu vas aux courses mercredi, ça peut bien attendre deux jours non? -Pardon? PARDON? Deux jours? Tu veux dire le lave-vaisselle blindé de vaisselle, avec les assiettes qui se font des attouchements et les verres qui partouzent gaiement avec les bols? Deux jours avec l'évier comme dimanche? Deux jours avec les chats qui tentent le prélavage et qui explosent le plat à gratin? Deux jours de fumet de repas de la veille dans toute la baraque? -Je te suggèrerais bien un truc pas bête, mais je suis pas sûre que tu vas aimer ma façon de résoudre un banal incident domestique. -Je te suggère de suggérer à bon escient si tu ne veux pas que ce banal incident domestique se transforme en accident conjugal. -... Et si on jouait à quand on vivait à deux sur mes allocations de chômage? Quand je t'avais à ma charge et que tu allais au lycée? Tu te rappelles ce jour où tu m'as dit que faire la vaisselle représentait l'icône bucolique de la femme au foyer que tu voulais tant devenir, du bas de tes dix-sept ans émancipés? -Oui, je me rappelle surtout que j'avais une poitrine, un joli cul pommelé et que ce que j'aimais, c'était que tu m'atrappes par ces extrêmités-là quand je frottais lascivement deux pauvres assiettes. -Oui, en effet, aujourd'hui, le spectacle est tout autre. -Qu'est-ce que tu entends par là? -Par là, pas grand-chose, juste qu'aujourd'hui, on a au moins cinq gamelles, ce qui, tu le permettras, change la donne. -Bien raccroché aux branches. -Je conclue que tu ne trouves pas mon idée de maman qui fait la vaisselle en chantant le générique de la Petite Maison dans la prairie pendant que papa bourre sa pipe en faisant tournoyer son benjamin sur son pied alors qu'il a son aîné et son cadet dans chaque bras aimant si bucolique? -Tu conclues perspicacement. -Bon et alors tu proposes quoi? -Si on était dans une série américaine des hauts quartiers chics et que j'étais enceinte jusqu'aux chevilles, tu sauterais dans notre 4*4 et foncerais vers le drugstore le plus proche pour m'acheter des tablettes pour lave-vaisselles. -Malheureusement, nous ne possédons pas de série américaine. -Bon, retourne à ton jeu." Sur quoi, je m'en retourne à mon mien, de jeu. Il m'avait cherchée, il allait me trouver, le légitime. J'ai donc ouvert la gueule du lave-vaisselle, et ai versé dans le réservoir prévu à cet effet la quantité habituelle de lessive liquide. De l'Ariel plus précisément. Sorti du bidon qu'on couche comme un bip de vin, avec un petit robinet anti-goutte pour pas crépir le devant de la machine à laver (le linge chez les gens normaux) et avec la boulette qui se cache toujours dans la manche d'un pull. J'ai pris le bidon en otage, l'ai menacé de le transformer à fontaine à Ricard s'il caftait, et l'ai délesté d'une demi-dose dont j'ai abreuvé le lave-vaisselle, un ami de la famille. J'ai fermé le capot délicatement sans faire de bruit pour ne pas éveiller les soupçons maritaux, et donné le grand coup de latte habituel à cette heure de la journée pour ne pas éveiller les soupçons maritaux. Qui se sont ramenés immédiatement sur-le-champ. "T'en a trouvé finalement? -Oui, tu sais, quand on l'a acheté, on avait récupéré les échantillons à 1Million$ la tablette, et je me suis souvenue que je les avais planqués sur l'étagère pour les jours de manque. -Tu es bien prévoyante. Calmée? -Calmée. -Tu m'appelles pour le café? -Ok, vas jouer." Je sais qu'il a marqué un temps d'arrêt dans son cerveau, car en principe, quand je réussis à l'attirer dans le cellier, c'est pour éviter qu'il ne se casse trop vite casser de la gueule de troll dans son Internet avec des potes à lui dedans. Alors que je lui somme presque de se casser vite fait, je sais qu'il a trouvé ça plutôt louche. En fait et à vrai dire, je ne voulais pas qu'il entende le bruit du lavage en sourdine, provoquée par la mousse dense qui pourrait déborder des joints. Ce n'est qu'une fois que j'ai su mon tendre à l'abri de mes conneries domestiques, bien tapi au fond de son fauteuil et déjà à cliquer sur les seins des Fées Démonistes que j'ai ouvert la porte. Soirée mousse. Mais bon, tout le monde était sage et se frottait les aisselles en chantant gaiement. Fière comme si j'avais gagné les deux autos à La roue de la fortune, je décide de m'en griller une, vite fait. Et la soirée se passe, s'étire et prend fin tard dans la nuit. Ce soir, quand j'ai voulu vider la vaisselle toute propre pour mettre la table, ce n'est qu'en ouvrant le lave-vaisselle que j'ai compris que la pause-café qui allait suivre n'allait pas forcément être pour moi le moyen idéal de retenir mon cher dans les filets du cellier pour se faire des gouzi-gouzi sur le kiki en buvant le café et en fumant la clope car nous sommes tous deux dotés du fabuleux pouvoir du multitachisme. En effet, je me suis demandée un instant si on avait pas échangé le gros ménager de place tellement les assiettes, elles sentaient bon la culotte toute propre et le chandail pimpant. En gros, ça poquait l'Ariel dans toute la baraque. Y compris les deux tasses à café dont j'allais me servir. Mais un bonheur n'arrive jamais seul et après s'être pété le dos la semaine dernière, l'auteur de la chair de ma chair a récupéré un vieux rhume qui traînait sur le bord de la route comme un cocker en plein été sur l'autoroute. Par conséquent, les naseaux absolument calfeutrés de morve bien épaisse et ne laissant filtrer tout juste l'immonde fumet de son dégazage sauvage, le soupçon de fraîcheur d'Ariel liquide dont il ne fait même pas cas en temps de narine décalaminée n'allait même pas titiller ses capteurs olfactifs ni même le poil au nez qui tente pourtant l'évasion régulière en dehors de la caverne d'Ali Baba. Rassurée, je fais le café en sifflotant la Belle des champs. Il me rejoint. On s'assoit et immédiatement, pour être certaine de mon fait, je le soule de paroles inutiles de trucs de filles et que j'ai mes ovaires qui me travaillent. C'est alors que je le vois froncer du sourcil, enfoncer son tarin bien profond dans la tasse, et humer la petite cuillère, puis finir vers moi, le soupir désespéré. "Putain je le crois pas! -Quoi, il est pas bon mon café? Si t'es pas content, tu le sais... Y a des tas de putasses avec des gros seins qui rêveraient de t'avoir dans leur lit à baldaquin. -T'as lavé la vaisselle à l'Ariel? -Tu sais ce qu'on dit chéri, faute de grives, on mange des merles. -Mais putain, l'un ou l'autre, tu les cuits pas avec de l'huile de vidange non? -Oh, vas savoir, tu sais, dans le temps, pendant la guerre et tout ça, peut-être y en a qui l'ont fait, il faut dire que le merle, si tu chies la cuisson, c'est sec comme un coup de trique. -Putain mais c'est pas vrai. T'ES PAS VRAIE! -Non, tiens d'ailleurs, puisque tu le prends comme ça, ce soir, ce sera dans ton rêve que je serai. Bonne nuit."

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