Blog et désespoir

Publié le 24 septembre 2008 par Zoridae

[Contribution de Boby]

Mon amour,

Je tiens à te le dire tout de suite, en préalable à ce courrier que tu ne liras pas. Je ne suis pas désespéré. Je ne vois pas bien l’intérêt d’avoir un quelconque espoir. Nuance.

Je me suis demandé à une certaine époque si ce que j’éprouvais était du désespoir. Pour être plus précis, quand j’ai pris conscience que tu refuserais les traitements lourds, que le crabe allait pouvoir s’en donner à cœur joie, et donc que tes jours étaient dorénavant comptés. Non, ce n’était pas du désespoir, mais plutôt d’une certaine façon une sorte de soulagement, puisque nos jours étaient comptés. Nous allions pouvoir clôturer dignement ces quarante années de luttes qui finalement, bien que nous ne voulions pas le reconnaître nous avaient, l’un comme l’autre, complètement usés. Nous n’avions plus d’illusions, ce qui est bien pire que de n’avoir plus d’espoir…

C’est à ce moment là que j’ai ouvert mon premier blog. Simplement avec le désir puéril, sinon illusoire, de laisser une trace pour nos enfants. Comme si cette toile virtuelle pouvait être marquée d’une quelconque trace.

Avec un autre objectif aussi. Celui de me créer une activité suffisamment prégnante pour que mon esprit ne perçoive plus le vide qui m’envahissait quand ton corps fatigué se réfugiait de plus en plus souvent, de plus en plus longuement, dans un sommeil qui n’avait rien de réparateur. Etre totalement à toi, complètement consacré à toi quand tu étais éveillée. Etre hors du temps et de la réalité en voguant de blogs en blogs quand tu me laissais seul face à moi-même. C’est seulement ainsi que je pouvais t’attendre. Attendre que tu sois prête.

Etrange ressenti. Pendant des semaines, des mois, je niais ma solitude en papillonnant ainsi de personnages fictifs en entités virtuelles, et en me plongeant de plus en plus longuement dans l’écriture. Et je n’ai jamais été aussi seul qu’à ce moment là.

Et puis, je ne sais même pas comment et pourquoi, un petit groupe de lecteurs fidèles s’est mis à m’entourer. Une petite communauté qui perdure aujourd’hui. Une anomalie.

(Parce que les règles du jeu de la blogosphère sont claires. De l’instantanéité, du vécu, des tripes. Bravo si tu réussis à tirer quelques larmes du lecteur attendri. Il t’oubliera un peu moins vite. Mais il t’oubliera. Toi, blogueur, tu n’es qu’un fantasme. Un lecteur ne remonte à peu près jamais dans l’historique. Le passé, ce que tu es, ce que tu as vécu, ne n’intéresse pas. Seuls comptent les instants présents. S’ils sont suffisamment poignants, tu seras l’heureux bénéficiaire d’un commentaire chaleureux. Reçois-le comme un baume, un cadeau, un encouragement. Et surtout n’oublie pas de dire merci !)

Ma chérie, je suis un peu trop amer en écrivant ces lignes. Je dois une fière chandelle à cet étrange outil, qui somme toute est suffisamment récent pour que personne n’en connaisse vraiment les règles et les possibilités. C’est grâce à lui, à mes écrits livrés en pâture à la terre entière, aux réactions empathiques d’une minorité de lecteurs, que j’ai pu tenir le coup pour toi. Je réservais à la toile mes coups de sang, mes désespoirs, mes craintes, mes lassitudes. Ainsi je restais disponible et aimant pour toi. Toi seule avais besoin de moi.

Etrange chose quand même. Ce qui n’est que le babillage de fantasmes éthérés (même lorsqu’ils disent se bourrer la gueule !), m’a aidé à être, à vivre, à t’aimer davantage…

Et puis tu as accepté que la mort finisse son œuvre. Tu m’as laissé me démerder seul. En t’opposant avec tout ce qui te restait de force à notre départ ensemble. Et puis j’ai été suffisamment lâche pour laisser faire. Pour survivre. Oui, sans trop savoir pourquoi, comment, et jusqu’à quand, je survis encore. Contre toute logique.

Sans blog.

Après ton départ j’ai essayé de poursuivre l’exercice. Par reconnaissance pour ceux qui m’avaient supporté et porté avec tout leur cœur. Par besoin d’échange, de communication. Même fictive et virtuelle, une conversation était préférable au regard hideux de la solitude. Mais les règles du jeu étaient changées. Les cris de désespoir (employons donc ce mot, je n’en trouve pas d’autre) et de souffrance quand j’essayais de t’accompagner étaient recevables. Ils émouvaient. Les même cris face à ma solitude irrémédiable et à ma recherche encore vaine d’un sens quelconque à la vie n’étaient pas acceptables. Saugrenus. Mal venus. Indécents. Agressifs. Ils choquaient. Imperceptiblement, j’ai senti les liens se distendre.

La toile est un étrange animal. Virtuel, tellement éloigné de la vraie vie, et qui pourtant n’accepte que les panégyriques idéalisés de ce que d’aucuns appellent « l’existence »…

Foin de ceux qui doutent de l’intérêt de laisser leur cœur battre à son rythme…

Je n’ai pas le choix. Je dois continuer. Accomplir les objectifs prévus. Je le ferai.

Sans blog.

Enfin… Ainsi l’ai-je voulu. Ainsi ai-je essayé. Je sais maintenant que ça ne durera pas.

Je l’ai souvent dit. Sur tous les tons. Je suis un animal social. Incapable de survivre dans la solitude. Et là, la solitude… En me coupant de ces lecteurs inconnus mais dont le cœur palpite quelque part, ici ou là, sur le globe terrestre… J’ai bâti des murs effroyables, hauts et épais, tout autour de moi. Je suis cerné. J’étouffe.

Vois-tu mon amour, je pense parfois que tu as tout fait pour me couper de tous ceux qui comptaient tant soit peu pour moi. Tu nous aurais voulu seuls, avec les enfants sur une île déserte. Tu n’es plus. Les enfants sont loin, et bâtissent leur vie. Je reste seul sur notre île déserte. Je t’ai promis de continuer. Il faudra bien que je trouve une solution.

La toile est immonde. Fluctuante. Versatile. Parfois violente. Parfois belle. Parfois hideuse. Parfois d’une générosité troublante. Parfois égoïste comme pas possible. Mais elle est.

Si, de temps en temps, je parviens à sentir un cœur au bout d’un mince et fragile fil de la trame de ce filet gigantesque, je sais bien comment je le nommerai : le Fil de la Vie…

Mon amour, je t’aime… C’est quand même drôle de dire à du vide, à une inexistence, à un souvenir, à un fantasme, à un bout de soi-même, qu’on l’aime…

Finalement, le virtuel existait avant la toile.

Tu vois, au bout du compte, après t’avoir parlé, le magma internet me fait moins peur…