Elle avait accepté de prendre un café, rien de plus. Il l’attendait en se rongeant les ongles. C’était une sale habitude mais quand il était un peu nerveux, il ne pouvait s’en empêcher, certains fument, lui c’était les ongles. Pour la 4ème fois, il se regardait dans le miroir qui faisait face à sa table, miroir qui vantait une marque de bière avec une belle rousse plantureuse au sourire enjoliveur. Pamela n’avait pas le sourire enjoliveur, en fait, il se demandait s’il l’avait vu sourire durant ces deux ans pendant lesquelles ils avaient vécu ensemble. Les disputes étaient leur lot quotidien et ils s’en contentaient. Le jour où elle avait levé la main sur lui, il n’avait plus supporté et s’était tiré. Cela faisait presque dix ans maintenant, dix années au cours desquelles il avait bourlingué de ci de là sans jamais donner de nouvelles. Quand il lui avait téléphoné, elle avait pleuré, pleuré de le savoir encore en vie, pleuré de toutes ces années d’angoisse à ne pas savoir ce qu’il était devenu.
Il sort un peigne de sa poche et lisse à nouveau ses cheveux, puis content de son look, rajuste son blouson et regarde une fois de plus sa montre. Elle est en retard, elle ne va pas tarder. Elle va être surprise de le trouver si chic, il est sûr qu’elle pense qu’il est SDF ou chômeur, elle lui disait qu’il finirait ainsi. Eh, bien non ! Ca été dur mais la rage de ne pas lui donner raison a été le moteur de sa réussite et la chance a fait le reste.
Une main se pose sur son épaule, il sursaute.
- Excuse-moi, je ne voulais pas te faire peur.
Il lève le visage et ce qu’il voit le surprend. Sa mère est belle, cheveux courts bruns aux mèches cuivrées, silhouette fine mise en valeur par une jupe étroite moulante, un pull a col roulé et une veste en daim, bottes à mi-mollets. La bouche esquisse un sourire timide et il remarque qu’elle est maquillée. « Tiens, se dit-il, elle ne se maquillait pas avant. »
Elle s’assied en face de lui, le serveur s’approche et elle commande un café serré. Ils restent à s’observer, attendant que l’autre parle.
- Tu as changé.
- Toi aussi, cela fait si longtemps.
- Dix ans.
- Tu as l’air en pleine forme.
- Toi aussi.
- Merci.
Après ces banalités, un silence s’installe. Elle tourne sa cuillère dans le café, le coude sur la table, la main soutenant son visage. Il note les ongles peints et soignés. Cette femme n’est pas sa mère, il ne la reconnait pas.
- Tu fais toujours le même job ?
Elle sourit, un sourire tendre et espiègle. Il ne l’a jamais vu sourire ainsi.
- Non, heureusement, je n’en pouvais plus. Quand tu es parti, j’ai décidé de reprendre une formation, je suis esthéticienne, j’ai mon propre salon et j’ai une bonne clientèle. Ça marche bien, je suis contente.
- Ah, je comprends !
- Tu comprends quoi ?
- Ben, ton look, tout quoi !
- Je te plais ?
Il est surpris par la question mais répond que oui, il la trouve super. Elle rit de cette affirmation. Elle demande-
- Et toi, que fais-tu ? Tu as l’air bien, chic et tout.
Elle a remarqué, il en est fier.
- Je dirige une agence d’Escort boy et girls.
Elle ouvre de grands yeux.
- Tu veux dire ces hommes et ces femmes qui accompagnent des riches à des dîners ou soirées ?
Il hoche la tête.
- Tu l’as fait toi aussi avant de diriger l’agence, tu as aussi été un…escort boy ?
Il hoche à nouveau la tête.
- Et…
La question lui brûle les lèvres mais elle n’ose pas la poser.
- Et tu aimerais savoir si j’ai couché avec toutes ces femmes.
C’est à son tour de hocher la tête.
- Pas tout le temps, ce n’était pas prévu dans le contrat et je pouvais choisir. Quand la femme me plaisait, je me laissais tenter, cela dépendait des circonstances.
- En fait, je ne suis pas étonnée, tu es beau, tu dois avoir du succès et tu t’es épanouis durant toutes ces années… comme moi…Notre vie ensemble n’avais rien de réjouissant, nous vivons mieux séparés, c’est le constat qui s’impose non ?
Il ne répond rien.
- Au fait, tu as revu ton
père ? Quand tu es venu vivre avec moi, il repartait en Amérique du Sud
avec l’idée de te faire venir plus tard. Sa mère ne voulait pas te laisser à
moi, elle avait sans doute raison mais cela devait être provisoire. Quand tu as
claqué la porte, j’ai essayé de le joindre mais sans succès, puis après j’ai
laissé tomber, je ne sais même pas s’il vit toujours. C’est une manie chez les
hommes de cette famille, partir sans donner de nouvelles.
A suivre...