Magazine Journal intime

extrait 1

Publié le 25 septembre 2008 par Pffftt

L'histoire de Charlie et Thomas n'est pas terminée...voici le premier chapitre (ou extrait plutôt).

1.
"Charlie est plantée là, le cul sur le carrelage froid, les boites aux lettres au dessus de sa tête et l’enveloppe déchirée à la main. Thomas la regarde, il a un peu peur, elle est jolie Charlie, encore plus quand elle pleure. Le môme caresse les cheveux courts de sa mère, avec son costume Batman, son cartable, il caresse pour consoler, doucement, comme le font les enfants prudents. Thomas s’accroupit, il veut quand même les protéger, prendre soin d’eux, un peu. Le peu qu’il pourra quoi. En se baissant déjà il est mieux pour les aider, la bonne hauteur on va dire. Mais putain son dos, ça lui lance des éclairs depuis le matin, est-ce qu’il se relèvera après ça ? Pas sûr.
- Qu’est-ce que t’as Charlie, une mauvaise nouvelle ?
Elle ne peut pas répondre, son cœur vient d’exploser dans sa gorge. Elle lui tend le message. Elle a encore des traces de peinture à l’eau sur le bout de ses ongles rongés. Il n’arrive pas bien à lire ce con, la douleur dans son corps, il sent ça surtout. Il fait un effort important pour que les mots s’impriment correctement dans son cerveau. Et puis très vite, il comprend tout. D’un coup d’un seul, direct, il intègre le scoop, perplexe. Il aura du mal à s’en relever de cette nouvelle. Le v’là scotché au sol le gus de deux mètres. Le bloc de muscles douloureux, ben ouais, scotché ! Coupée la chique…Gamine va ! Tu t’émeus d’un rien toi !
-Putain Charlie, putain !
-…
Comme de la magie, il se redresse tout léger, un peu en équilibre, la conscience presque libre. Ça lui fait chaud tout partout, il est heureux pour quelqu’un. Depuis le temps. Mais c’est qu’c’est pas donné à tout le monde ça d’être heureux pour un autre ! Ben chez lui ça marche encore…et ça fait du bien.
-Allez approche minot, t’as vu ça, t’as vu elle les a bluffé ta mère les charlots !!!
Il prend le gamin et le jette dans les airs, là haut près du lustre, tout là haut dans les nuages, son mal au dos pffftt…parti ! Le môme rit, il s’agrippe au cuir du grand costaud, c’est chouette la vue d’en haut.
C’est écrit noir sur blanc…Elle va être publiée par un des plus grands éditeurs jeunesse de France, ils en redemandent même. Toute une collection qu’ils veulent les marchands de rêves pour enfants !!! Des couleurs, des mots, des fleurs et des histoires pour de faux, des histoires pour de rire, des histoires pour faire peur, des histoires pour grandir. Et Charlie qui chiale du sel, elle se vide les lacrymales, ça coule encore et encore, un vrai torrent de bonnes eaux…elle va disparaître sous toute cette flotte bientôt.
Y a Mme Pereira qui va débarquer avec son seau et sa serpillière dans quinze secondes:
-Ben vous m’inondez le hall là Mademoiselle Cartier !! Faut arrêter de pleurer comme ça, c’est pas possible, je vais devoir appeler le plombier moi !!
-Putain, ils l’ont signée Mme Pereira, c’est pas beau ça ?? C’est pas une belle revanche ? Hein ? C’est pas le casse du siècle ça pour notre Charlie ?
Le gamin est grimpé sur les épaules larges de Thomas, il tape dans ses mains en reniflant les dreads crado du géant. Il est tout comme un grand, bien à sa place sur ce perchoir à piou-piou.
Mme Pereira n’en revient pas. Elle s’excite autour du balai, elle sautille. « C’est pas vrai mais c’est pas vrai » qu’elle répète. Même Hugo s’est approché. Tout timide et penaud, il tend sa main à Charlie pour l’aider à se relever, il embrasse son front comme s’il était un ange de derrière le soleil, et il devient tout rouge jusqu’aux oreilles :
-C’est bien Melle Charlie, dis donc c’est vraiment bien ça…vous avez drôlement raison de pleurer…
-Mais y sont cons où quoi ces intellos du premier ??? On va pas chialer là le puceau ! On va pas chialer merde, on va faire la fête plutôt !! Hein la concierge on va se faire une bouteille là ??
-Pour sûr mon Thomas qu’on va le boire notre coup, allez tous dans la loge, je vais vous sortir un très bon Porto pour fêter ça !
Elle leur sort un truc du Haut Douro de dix ans d’âge, elle ne se fout pas de leur gueule la logeuse.
Ce soir faut croire que nan, y a personne qui va pouvoir se foutre de leur gueule !
Vainqueurs.


Une heure après, dans son petit deux pièces, Charlie flotte sur son mini nuage, vapeurs du Porto. Elle donne sa douche à Gino, des béko tout plein d’eau, ils rient tous les deux. Elle frotte le dos, les petits bras fins, les cuisses de grenouilles et les boucles blondes. La mousse qui chatouille leurs narines, ils font atchoum en cœur, ça les fait marrer encore plus. Gino mange son sandwich paté-salicornes devant la télé, il s’alimente n’importe comment ce gosse, faut voir ça…Et puis il s’endort comme un petit loir en hiver, en boule sur les coussins du sofa. Charlie le prend dans ses bras. Au chaud, bordé dans son lit bateau, il ouvre grand ses yeux et il lui sourit de l’or. « Bonne nuit m’man » Il chuchote, et puis sa tête bascule, il dort.
C’est pas difficile pour Charlie d’inventer des livres pour les enfants ; elle a toujours fait ça se raconter des histoires d’il y a longtemps. Et puis quand son loupiot il dort, elle se penche vers sa peau rosée et transparente, il y a des petites veines bleues sous les tempes qui battent à tout rompre. Elle fronce les sourcils et s’approche encore, et là, elle voit des rêves qui se bagarrent, elle a juste à les choper et après les dessiner, les légender et voilà, le tour est joué ! Elle fait ça beaucoup de regarder son fils et boire ses petites paroles d’enfant.
Il est vivant lui, il inspire, il expire, il respire.
En souriant, elle souffle doucement sur son front, un baiser sur chaque paupière. Elle respire son odeur, pour ne jamais oublier.
Tout se grave.
Les poils des bras hérissés elle éteint doucement la lumière, et ferme la porte.
Elle n’en peut plus, elle sent qu’elle peut tomber. Elle déballe vite son matériel sur la table de la cuisine. Elle remplit la théière chinoise à ras bord et se brûle les lèvres d’aller si vite…elle se retient de pleurer.
Les pinceaux, les planches à dessins, les couleurs et de l’eau, de l’eau, toujours et encore…elle respire fort, éternue cinq fois de suite en rafale (l’odeur des peintures) et les yeux plissés elle s’empare du rose pâle…son préféré, aussi doux et apaisant que la peau tendre de son fils.
Le rose éphémère.


Même pallier, la porte en face, Thomas est électrique.
Il se roule un joint pour que ça passe, mais rien ne le calme jamais totalement…Le répondeur qui clignote dans le noir de l’appartement, et si c’était Yvan ? Ouai mais si c’était pas lui ?? Arrête de faire ta gamine, t’écoutes les messages et pis tu sauras mon grand ! Mais si c’est pas lui ? Ben tu péteras encore les plombs ça changera pas grand-chose à ta vie de toutes façons…
Thomas se lève, sa main qui tremble lorsqu’il appuie sur le bouton, il fume trop de shit le soir ce con.
« Vous avez deux nouveaux messages »
Putain accouche la boite vocale, je vais m’écrouler là…tu vois pas que je vais m’écrouler putain, que j’en peux plus ? Il m’appelle pas ce connard, il me téléphone jamais, il baise sa femme, il emmène ses mômes à l’école, il vend ses vieilleries qui puent la poussière toute la journée et il prend pas cinq minutes pour me faire un signe. Et c’est quoi cinq minutes dans la vie d’un mec ?? C’est rien hein pour lui ?
La boite vocale a fermé sa gueule.
Sur le premier message on entend juste son souffle et les grésillements dans le haut parleur. Ses oreilles à Thomas elles se mettent à bourdonner comme les petits abeilles, vite et follement. Il s’écroule sur le tapis.
Scié.
Il écoute le souffle et il revoit son corps à l’autre. Sa nuque, la cambrure de ses reins, les grains de beauté dans son dos, sa cicatrice sur l’épaule. Son cœur s’accélère, il a une barre dans le bide, un truc énorme qui le fait chavirer, il se laisse bercer par la respiration de l’autre, paumé.
Le bip le fait sursauter, le second message s’enchaîne :
« C’est moi, euh Yvan…le con qui respire sur ton répondeur, c’est moi…j’espère que je te manque un peu Thomas…parce qu’à Paris tout est gris…je passe le week-end à la villa…euh…est-ce que…est-ce qu’on peut se voir toi et moi ? Je serai pas tout seul…enfin tu comprends…euh…Thomas, on peut se voir toi et moi ?...euh ben voilà…si c’est oui…ben tu passes par mon portable…Thomas…j’espère que c’est oui hein ? »
Thomas souffre et kiffe à la fois.
Ça tournoie dans sa tête.
Il rembobine le bordel encore, et écoute le souffle, déguste la voix, rembobine le bordel, écoute le souffle, déguste la voix, rembo…
Il recommence encore et encore et puis crevé, il s’endort sur le tapis. N’allez pas lui demander après pourquoi il a mal au dos le matin au lever.
Il s’est écroulé sur le tapis. "


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