La mendiante asthmatique, le petit garçon et la carotte.

Publié le 25 septembre 2008 par Anned

(Les gens de Buenos Aires)

Ce matin, comme souvent, je fais mes courses à pied dans le petit quartier commerçant tout proche de mon domicile. J’en connais tous les mendiants - cinq ou six - y compris la maman qui passe tous les jours de longues heures assise sur un siège de camping. Sur ses genoux, elle tient une fillette dont le visage est à demi dissimulé derrière un de ces masques en papier qui faisaient fureur à l’époque des alertes au SRAS et autre grippe aviaire. La mère serre à la main un sachet transparent dans lequel on peut apercevoir une chambre d’inhalation pédiatrique et le médicament pour asthmatique qui va avec. C’est donc que les services sociaux les connaissent, me dis-je. Ce matin, je leur trouve à toutes deux la mine particulièrement lasse et pathétique.

- Una monedita para ayudarme… supplie la femme en tendant la main comme je passe à sa hauteur sur l’étroit trottoir.

J’ai pour principe d’éviter de donner de l’argent. Je suis sur le chemin de la boulangerie, je décide d’acheter un peu plus de ces biscuits dont mes propres enfants raffolent, et d’en donner à la fillette en repassant. Au retour, je fais une pause à la hauteur du siège de camping et dépose mon petit paquet dans les mains de la maman.
Leurs deux physionomies se métamorphosent, d’éteintes elles s'illuminent en sourires radieux.

Alors que je réponds de nada  au muchas gracias en m’en allant, je sens ma gorge se serrer et quelques larmes mouiller mes yeux. Au moins me suis-je retenue de lui suggérer de venir sonner à ma porte de temps en temps... Ouf ! Elles sont déjà trois cartoneras à passer chaque semaine. Nous sommes visiblement connus dans le quartier comme des gens qui donnent, elles ne sonnent pas ailleurs, j’ai vérifié. Je ne sais d’ailleurs qu’en penser. Comment peut-on avoir le cœur de refuser un paquet de pâtes et un litre de lait à une mère de famille qui vous les demande, alors qu’on en a plein ses placards ? Si chacun de ceux qui ont tout prenait à son compte sa petite part de la misère du monde… J’ai beau avoir côtoyé la misère de près, surtout en Asie où j’ai donné beaucoup de mon temps comme bénévole, je ne m’y fais pas.

Je fais encore quelques pas et pénètre dans la boutique où je me fournis en café. Un trio familial me suit : un petit garçon de quatre-cinq ans, sa mère, et sa grand-mère. Les cheveux blonds-Marylin dans le dos, vêtue avec recherche, celle-ci arbore au sortir de l’hiver austral un bronzage façon carotte fatiguée et une poitrine EE garantie 100% silicone sanglée sur sa cage thoracique taille 38. Le gosse fouille dans le sac de sa mère, en sort un téléphone cellulaire dernier cri, et entreprend de photographier son aïeule qui prend la pose, à quelques mètres seulement de la petite mendiante asthmatique.

Ainsi va l’Argentine.