La vieille dame est assise, toujours à la même place, jamais loin de son horloge. C’est son cœur qui sonne à chaque fois. Je viens la voir une fois par semaine pour écouter son histoire, que je m’approprie davantage à chacun de mes passages. Rencontrée par hasard, lors d’une visite forcée à une vieille tante aigrie, elle m’avait intriguée. Elle ne ressemblait plus à grand-chose, il faut bien l’admettre mais il suffisait que je m’installe à ses côtés, face à son horloge-métronome pour que son regard s’illumine dès le premier mot prononcé.Ce premier mot, invariable, c’était Lucien, son Lucien. Son histoire, c’était leur histoire. A eux deux, rien qu’à eux. Dont le dernier vestige égrainait les minutes avant les retrouvailles.
Marguerite venait de fêter ses vingt ans, ce dix mai 1916. En guise de cadeau, on lui avait remis une lettre d’un anonyme enlisé sur le front en quête d’une « marraine » avec qui correspondre. Un être humain lui rappelant que la vie ne s’était pas arrêtée, qu’il fallait espérer. Cette première missive avait plu à Marguerite, pour son ton se voulant détaché, son exigence de s’entretenir exclusivement avec une femme, jeune, jolie si possible et non bigote. (Il avait souligné le dernier terme.)
Elle avait répondu le soir même. Avait attendu pour cela que ses parents soient couchés afin de créer un début d’intimité avec cet inconnu dont elle connaissait déjà la lettre par cœur.
« - Vous ne pouvez pas comprendre. C’était une autre époque.. » Avait-elle ajouté en triturant le paquet enrubanné.
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