Les anges irradiés

Publié le 28 septembre 2008 par Jlk

En regardant Tarnation

C’est une chose bien étrange, apparemment informe, au premier regard, et très construite en réalité, très sensible et très pure dans son chaos dépassé (comme on parle d’un coma dépassé) que représente le film Tarnation de Jonathan Caouette.
Cette espèce de collage déroute d’abord par sa vitesse et ses ellipses, après quoi l’histoire se met en place, qui a quelque chose d’un roman-photo américain des années 50-90, où tout de suite apparaît la mère du cinéaste dont il est question dès les premières séquences, avec l’annonce d’une overdose de lithium. Et c’est parti pour un life-movie à l'américaine: Renée a été reine de beauté au Texas; en 1952 elle a rencontré un représentant de commerce, le beau Steve. Love story. Sauf que Steve fout le camp et que Renée déjante au point que le gosse se trouve casé chez des gens qui en abusent bientôt. Jonathan placé, René va dans une prison, et les images video commencent de redéfiler.
Car c’est de ça qu’est fait ce film recomposé : de toutes les images que Jonathan Caouette a collectées et, dès sa quatorzième année, filmées lui-même ou fait filmer.
Au premier regard, ce film me semblait la négation de l’art: comme une sorte de déchet existentiel et pourtant il me touche, comme m’a touché l’autre jour ce billet d’une collégienne insultant son prof, d’une écriture de sang et de rage; et voir le petit Jonathan de 15 ans en travelo, devant sa camera, jouant un rôle et pleurant de désespoir, m'a ému, mais que faire avec ça ?
Où est la limite du fait divers et de la tautologie ? Toutes nos scènes de ménage et de manège ne sont-elles pas ainsi « à filmer » ? Et tout ne va-t-il pas s’esthétiser de cette façon en patchworks ? On est pourtant dans les bonnes intentions: « C’est pas mon genre les grossièretés » dit ce garçon qui se regarde et dit son amour pour sa mère, qu’on traite aux électrochocs; et voici paraître le vieux salaud auquel il a été confié, qui lui ordonne de virer sa caméra…
Vertige de cette horreur : et beauté tout de même à la longue, comme renouant avec une immense tendresse perdue et un pardon, où les images deviennent bel et bien récit…
C’est donc l’histoire d’amour d’un fils et de sa mère, que tout a séparés et qui se retrouvent comme deux enfants perdus. De ces images absolument idiotes que sont celles qu’on prend en vidéo se dégage enfin une espèce de poème. Cela fait un peu nouvelle de Carver racontée par à-coups sur un répondeur téléphonique ou envoyées par images numériques. Pourtant une histoire se raconte bel et bien en l'occurrence, où se colmate un immense vide et s'amorce une mélodie belle...