The man I love

Publié le 29 septembre 2008 par Chondre

Cela va faire seize ans que je partage ma vie avec mon nain de mari. Quarante-quatre ans en années Matoo. Nous nous chamaillons toujours au sujet de cette date. S’il est persuadé que notre d day était un 10 octobre, je reste convaincu qu’il s’agissait d’un 13. Nous n’avons jamais fait de plan sur la comète. Il était à l’époque mon meilleur ami, il l’est resté et est devenu mon meilleur amant. En même temps, il m’est impossible de comparer avec quelqu’un d’autre car il reste l’unique homme de ma vie. Je me considère donc comme quatre fois chanceux: (i) mon mari est fidèle, (ii) il est unique, (iii), notre histoire dure depuis l’antiquité et (iv) je n’ai jamais eu à ramer pour trouver ma moitié ni fréquenter réseau quequette ou j-ai-le-feu-au-derrière.com. Mais si tout semble idyllique sur le papier, notre vie n’a jamais été un long fleuve tranquille.

Nous avons pris le temps de nous connaître et nous apprécier mutuellement. Nous nous sommes rencontrés quelques jours après notre arrivée à la Faculté. Ce n’est qu’après deux années d’amitié que j’ai fini par oser mettre ma langue dans sa bouche. Nous étions tous plus ou moins perdus dans la jungle estudiantine. Nous avons mis quelques semaines à former un petit groupe. La pioche fut bonne car nous sommes restés très liés pendant près de dix années d’université et le sommes toujours. Cependant, même si nos amis étaient les meilleurs du monde, nous n’avons pas osé, du moins au début de notre relation, annoncer que nous étions ensemble donc homosexuels. Le temps et les petits mensonges passants, il s’est avéré de plus en plus complexe de révéler à nos proches que nous formions un couple. Snooze a cependant dégainé le premier en affichant ouvertement son homosexualité. Cette annonce a été le point de départ de sa nouvelle vie et lui a permis de se transformer aussi bien moralement que physiquement. Je restais de mon côté aussi asexué qu’une huître en élucidant en permanence la question.

J’ai fini par voler de mes propres ailes en quittant l’appartement familial. Je me suis installé dans le douzième arrondissement au début de mon doctorat. Snooze n’avait pas encore terminé ses études et me rejoignait en fin de semaine. Il supportait de plus en plus mal de vivre caché et de ne pas pouvoir s’afficher avec la personne qu’il aimait. Il me lança donc un ultimatum en me demandant de choisir entre notre relation et mon coming-out. J’ai instantanément feuilleté les pages de mon carnet d’adresses et j’ai téléphoné à tous mes amis. Allo, bonjour, c’est Alex. Je voulais juste te dire que j’étais pédé et que Snooze était mon chéri depuis près de sept ans. Bip. Allo, tu es toujours là hein? L’épreuve fut un peu plus douloureuse avec ma génitrice. Si l’annonce passa en douceur, la nuit porta mauvais conseil. A son réveil, ma douce maman s’était transformée en une harpie hystérique qui m’annonça, la bave aux lèvres et l’index accusateur, qu’il était hors de question qu’elle accueille de nouveau mon amant sous son toit. C’était elle ou lui. J’ai très vite choisi. Je n’ai jamais eu à annoncer la nouvelle a mon père. Snooze s’en est chargé. Je n’ai plus reçu la moindre nouvelle de sa part depuis. Rien ne sert de revenir sur le passé. Peut-être mes parents étaient-ils jaloux que je réussisse ma vie sentimentale alors que leur couple n’avait été que fadeur, tromperie et mensonge.

Je suis maintenant intimement convaincu que je finirai mes jours en sa compagnie, même si j’ai souvent envie de claquer la porte. Car Snooze est un gamin trentenaire portant ses qualités et ses défauts. J’aime le regarder dormir le matin. J’aime son inconscience, sa gentillesse et surtout son insouciance. J’aime surtout quand il me regarde et qu’il laisse transparaître toute l’affection qu’il me porte. Je sais qu’il m’est possible de compter sur lui dans les moments difficiles, et c’est pour moi le plus grand des luxes. A contrario, j’ai souvent l’impression de m’être substitué à ses parents. M’occuper du quotidien me pèse. Il pense toujours vivre au pays du manège enchanté et certaines considérations bassement matérielles lui échappent. C’est parfois épuisant mais j’en ai pris depuis longtemps mon parti. J’ai cependant parfois l’impression qu’il se moque de moi. J’en profite alors pour sortir les crocs. Ce crétin refuse ainsi de soutenir sa thèse depuis des années et cette obstination m’irrite au plus haut point.

Nous partageons finalement chacun une partie d’insouciance. Nous avons mis tous nos oeufs dans le même paniers en achetant notre appartement. Ce qui est à lui est à moi et vice-versa. Nous ne sommes ni mariés, ni pacsés. Nous n’avons pas contracté d’assurance en faveur de l’un ou de l’autre ni rédigé le moindre testament. Si un accident survenait, l’autre se retrouverait instantanément dans la mouise. Nous vivons donc en ne voyant pas plus loin que le bout de nos nez respectifs. Je reste cependant aigri et en colère de ne pas pouvoir officialiser notre relation comme n’importe quel couple. Combien faudra-t-il attendre d’années pour pouvoir commander une pièce montée dominée par deux maris en sucre chez notre pâtissier préféré et convier tous nos amis à partager notre bonheur? Je n’en sais rien.

En attendant, nous poursuivons notre chemin min dans la main, comme au premier jour.

Et c’est bien comme ça.