Il fut un temps, fort lointain, où les enseignants n'hésitaient pas à parler de
cancres, de nuls, de "mauvais élèves". Le bonnet d'âne existait et on s'en servait afin de montrer du doigt ces fameux élèves moins doués ou plus paresseux que d'autres. Des injustices, il devait
y en avoir mais tout le monde s'en foutait, sauf les victimes, évidemment.
De mon temps, plus de bonnet d'âne mais encore des remarques sur le fait qu'on était bon ou mauvais, qu'on irait au bac ou pas. Je me souviens de mon instit de CM2 (classe que j'ai redoublée à
cause des maths) qui nous disait sans cesse que si on n'avait pas de bonnes notes on finirait en CPPN... je ne savais même pas ce que ça voulait dire mais ça sonnait comme LA menace du siècle et
je me doutais qu'il valait mieux éviter ce CPPN (l'équivalent des SEGPA d'aujourd'hui en gros donc, classes à enseignement adapté on va dire).
Et puis, quand je suis entrée dans la grande maison de l'Education Nationale en 1996, on m'a bien fait rentrer dans le crâne qu'il ne fallait plus parler de "mauvais" ou de "bons" mais d'élèves
en difficultés ou en réussite. Il fallait bannir de notre vocabulaire des mots comme "nul", "cancre" (qui comportent un jugement de valeur, certes) ou même "faible" alors que pourtant,
dans les faits, c'est souvent ça : l'élève en difficulté est un élève faible du point de vue scolaire. Ça ne veut pas dire qu'il est un être humain faible ou nul... ça veut juste dire qu'il n'est
pas fait pour les études ou pour le système scolaire tel qu'il existe. Et ça arrive ! Moi, j'étais nulle en math et dans les matières scientifiques. C'est un fait. Mes notes le prouvaient. Un
prof m'aurait dit que j'étais nulle, ça ne m'aurait pas choquée plus que ça vu les résultats qui tombaient. J'étais "en difficultés dans les matières scientifiques", ça sonne vachement mieux!
Mais bon, bref, j'ai le cerveau formaté E.N. et je parle fréquemment d'élèves en difficulté".
Seulement voilà, il semblerait que ça ne suffise plus et qu'il faille désormais
parler carrément "d'élève en souffrance"... "brisé par le système scolaire"... Waow ! Rien que ça ! Mais, il va faire quoi l'élève en souffrance quand il sera dans la vie active qui, elle, ne se
prive pas de briser les gens effectivement ? Depuis des années maintenant, on materne les gamins. On choisit nos mots pour ne surtout pas les brusquer ou les traumatiser. On dédramatise, on
relativise, on calme... On s'applique à expliquer encore et encore avec des mots nouveaux pour essayer de tout faire comprendre sans s'énerver. On relève les notes de certains gamins parce qu'on
sait qu'ils ont fait des efforts et que ça n'a pas payé, qu'ils vont être déçus de leur note... On adapte les exercices pour qu'ils ne soient pas trop "casse-gueule". Si on en a mis un trop
difficile, la fois d'après on s'arrange pour que les notes soient bonnes... Bref, on protège, on surprotège et là, on vient me parler d'élèves en souffrance ??? D'autant plus que les élèves en
question sont, pour quelques uns, des emmerdeurs de premier ordre qui passent leur temps à se
marrer et à faire les pires conneries dans le collège. Ce serait plutôt les profs et le collège qui pourraient être brisés par eux et non l'inverse... Qu'aurait-ils dit ou fait à l'époque où
vraiment des profs "brisaient" vraiment les élèves ?
Maintenant, on les écoute, on les conseille, on les chouchoute, on les comprend, on les plaint et malgré ça, ils sont en "souffrance"... Que peut-on faire de plus ?S'ils ne sont pas à leur place
dans le système scolaire, on n'y peut plus rien puisqu'il n'y a plus aucune structure "spéciale" pour les accueillir. Ils détestent l'école mais l'école les gardera coûte que coûte jusqu'à 16 ans
au moins... Ils sont de plus en plus en difficulté mais on n'arrive à rien parce qu'on ne nous donne aucun moyen, bien au contraire. On les parque dans des classes à 30 ou plus en espérant qu'ils
ne vont pas tout faire sauter un jour où ils en auront marre... mais, pour se donner bonne conscience, on constate leur "souffrance"...