Lundi

Publié le 07 octobre 2008 par Unepageparjour

Début du Rosier de Julia

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Lundi. Jour de deuil. Le petit rosier était bien mort. Prostrée dans un coin de la serre, effondrée, Julia pleurait. Elle tenait dans ses mains la branche desséchée, qui n’avait plus de feuille, toutes tombées dans la nuit. Elle sanglotait à chaudes larmes. Son chagrin d’enfant la secouait, de haut en bas, elle hoquetait, sans plus voir la lumière, ses yeux noyés de rivière, ses paupières pleines de douleur. Elle ne comprenait pas. Elle en voulait à la terre entière. A toutes ces fleurs lumineuses de vie, éclatantes, qui semblaient rire à travers tout le jardin. Elle les maudissait, leur santé insultante lui faisait mal, quand elle sentait dans ses paumes la tige privée de sève du petit arbre dont elle avait entendu l’appel, l’autre jour, au marché.

Recueillie sur elle-même, Julia laissait ses pleurs s’égoutter lentement sur ses bras, sur les paumes de ses mains, sur la branche. Petit à petit, le bois sec, assoiffé, se mit à boire les larmes de l’enfant. Les perles d’argent roulaient entre les épines rabougries, s’accrochaient à leur pointe soudain revigorée, étincelantes,  comme des diamants au cœur pur, et donnaient un peu de lumière au tronc malade. Son écorce flétrie abandonnait son ombre brune et se parait d’une peau nouvelle, comme un printemps. La tige se redressait, se fortifiait. La sève revenait, en flot puissant. Une fièvre miraculeuse parcourait le rosier, ragaillardi, ardent. Comme un souffle venu d’ailleurs, son envie de croître reprenait le dessus. De petits bourgeons verdissaient, se gorgeait des larmes de l’enfant, prêt de nouveau à éclater en feuilles, en fleurs. La vie était là, immense, infinie, sans horizon.

Julia cria. Surprise par la douleur fugace, aiguë, qui pointa à son doigt. Une goutte de sang, légère, souriait au bout de son index, comme un grand éclat de rire à la vie. L’enfant suça machinalement son doigt, sans comprendre, le regard vide posé sur ce petit rosier bien vert, couvert de feuilles, qu’elle tenait dans son autre main. Elle se retourna, mais elle était seule dans la serre. Les yeux encore embués, elle se releva, esquissant quelques pas pour dégourdir ses membres encore endoloris de sa prostration. Ses genoux lui faisaient mal, incrustés de gravillons. Elle les brossa de sa main droite, l’autre gardant précieusement son trésor.

Elle s’en revint à la maison, n’osant pas trop courir, ou crier, de peur de briser ce rêve dont elle ne voulait pas s’égarer.