Accoudée à la balustrade, étrangère au tumulte de la rue qui borde la plage, Tonia laisse vagabonder ses pensées. En cette fin de journée, le soleil déclinant peine à maintenir la chaleur de l’après-midi et elle frisonne. Elle ajuste le châle qui recouvre ses épaules et scrute encore une fois l’horizon, comme tous les jours à pareille heure. Elle attend.
Au loin les cloches de l’église sonnent, invitant les rares fidèles à se rassembler pour prier à un monde meilleur. Une mouette se pose non loin d’elle, en équilibre sur la rampe, lorgnant un possible bout de pain. Les bateaux rentrent au port, déversant leurs flots de touristes ivres d’air marin, à la démarche un peu incertaine, leur corps se balançant dans le souvenir du roulis et du tangage.
Des enfants courent en riant, des mamans crient, des papas grondent en un joyeux tumulte, heureux qu’ils sont de profiter pleinement de ces journées de fin d’été. Les nuages qui approchent humidifieront la soirée, apportant la fraîcheur pour une nuit régénératrice. Ces gens semblent heureux mais elle n’est pas envieuse. Elle sait que son chagrin fait dorénavant partie intégrante de sa vie, telle une nouvelle peau qu’elle a endossée malgré elle. C’est ainsi, elle ne se lamente pas, elle assume et attend que le destin ou la vie lui redonne un autre manteau, plus joyeux, moins pesant, moins difficile à porter.
Une main se pose sur ses épaules, elle ne réagit pas, elle ne regarde même pas à qui appartient cette douce pression qu’elle sent.
- Maman, tu es à nouveau partie sans m’avertir, tu n’es pas raisonnable, je t’ai cherchée partout.
Elle ne dit rien, mais en fait, qui est cette femme, de quoi lui parle-t-elle ?
- Viens, on va rentrer, tu dois avoir froid, tu es à peine habillée.
Elle s’accroche à la balustrade, elle ne veut pas partir, elle attend, elle ne sait quoi ni qui, mais elle sait qu’elle doit attendre. Sa fille insiste.
- Allez viens ! Et délicatement, elle desserre les doigts accrochés, enveloppe de son bras les épaules fragiles et conduit Tonia vers la voiture garée en double file.
Tonia essaie de résister mais elle n’a pas la force pour s’opposer. Elle finit par s’asseoir docilement dans le siège, elle sait que demain elle va revenir déjouant à nouveau la vigilance de ceux qui l’enferment.