Regard sur les Chinois

Publié le 10 octobre 2008 par Fred Boot
(Illustration de Martha Sawyers)
"Le monde est plat", me racontait le directeur d'une école d'art de Pékin. Il s'agissait évidemment d'une métaphore pour rappeler qu'aujourd'hui on consomme à peu près la même chose partout dans le monde. Les comportements humains offrent un tableau de moins en moins contrasté à mesure qu'émergent des pays comme l'Inde ou la Chine, réunissant à eux seuls environ un quart de l'humanité. C'est une image qui, pourtant, pourrait cacher les frontières et les barrières qui existent toujours entre les peuples, la méconnaissance que l'on a de l'autre.
Hong Kong a une situation interessante car cette ville est un lieu où se croisent les cantonais, les chinois du continent, les populations anglophones (Angleterre, Nouvelle-Zélande, Australie, Inde,...), les peuples exploités d'Asie du Sud et j'en passe. J'ai donc pu croiser de nombreux regards sur cette population chinoise que l'on connaît peu. Comment définir, comment créer une généralité de tous ces chinois dont le seul lien, outre celui d'avoir un même gouvernement, est l'écriture ?
J'ai rencontré des sentiments très diversifiés des étrangers à l'égard des chinois, au détour de discussions "sur le terrain" ou via les réseaux numériques. Il y a d'abord de la condescendance, le jugement quasi systématique des chinois à l'aune des pays développés. Elle prend deux visages : d'un côté, un dédain qui pointe du doigt les lacunes, de l'autre un candeur qui infantilise les chinois ("ils apprennent, ils ne savent pas ce qu'ils font").
En réaction, le peuple chinois peut parfois exacerber de la fierté. Lorsque l'on considère l'histoire du pays, cela peut se comprendre : n'oublions pas la manière dont les colons occidentaux ont occupé la Chine. Cette fierté est parfois nationaliste, mais cela ne veut pas dire qu'elle soit instrumentalisée pour autant : peu de peuples tendent finalement l'autre joue lorsqu'on les giffle ou qu'on les sermonne. A Hong Kong, cependant, on assiste à l'effet contraire : le cantonais se dévalorise par rapport au "gweilo" (l'étranger "blanc"). Cela s'illustre pragmatiquement dans le comportement, mais aussi dans les échelles de salaires. Il y a une discrimination positive très forte. Le "gweilo", bien entendu, ne parlera jamais de cette discrimination ni ne remettra en question les différences souvent aberrantes qui existent. On est humaniste chez soi, mais jamais ailleurs n'est-ce pas. L'arrivée de plus en plus massive de population de Chine Populaire changera peut-être la donne, mais pour l'heure aucun signe ne laisse penser cela.
Outre la condescendance et le dédain, l'un des sentiments que j'ai le plus vu est bien entendu la colère. Combien d'alertes aux Droits de l'Homme ? Combien d'appels au boycott ? Combien de partis-pris concernant le Tibet ? Combien de peurs au sujet des importations ? Combien de suspicion sur le vol de technologies ?
L'idée qui vous paraîtra choquante est que les libertés individuelles n'ont jamais été aussi nombreuses en Chine. Cette évolution qui est malgré tout positive ne pourra continuer que si les conditions de travail s'améliorent et si le fossé entre les ultra-riches et le reste de la population se comble. Cela ne se décidera ni sur le parvis de Notre-Dame ni à la Mairie de Paris, mais dans les usines et les campagnes chinoises elles-mêmes.
Pour l'heure, que peuvent faire les français ? Rien. Et pour cause : avant de prendre parti pour les ouvrières grévistes de Shenzhen, il faudrait déjà être convenablement informés de nos propres conflits sociaux ou de nos propres scandales et d'y mettre un juste terme. Alors nous éveillerons peut-être un semblant de début d'intérêt de la part du peuple chinois et de son gouvernement. Il est temps de reporter notre dédain et notre colère sur nos faiblesses : si nous voulons voir les choses changer là-bas, nous avons d'abord une république bananière à renverser et une décroissance à organiser. Il a fallu 50 ans à la Chine pour changer de visage, c'est un délais raisonnable pour faire de même avec la France, non ? Sans joie ni allégresse malheureusement : le chaos devient nécessaire et il est pour demain.