Magazine Journal intime

Au fond à côté du radiateur

Publié le 13 octobre 2008 par Chondre

Je me suis rapidement retrouvé seul à la maison. Ma mère avait confiance en moi et pensait que j’étais capable de gérer mon propre quotidien. Il n’y avait aucune raison que cela se passe mal. J’étais un enfant très calme et déjà très casanier. Je faisais partie de ces élèves qui avaient la chance d’avoir de bons résultats sans travailler plus que cela. Je vivais dans ma bulle et j’avais très peu d’amis. Je me rendais en bus ou en métro à l’école, rentrais déjeuner à la maison et repartais pour l’après-midi. Le soir, c’était quartier libre jusqu’à minuit, heure à laquelle rentrait ma mère. Je n’avais aucune pression pour faire correctement mes devoirs, sinon celle de mes professeurs. Je délaissais ainsi volontiers les taches scolaires pour mes Legos, mes jeux électroniques ou mon Amstrad 464. Je profitais du chargement des jeux et des plantages à répétitions pour me préparer mon goûter. Il fallait à l’époque insérer une cassette à droite du clavier de ce que nous appelions un ordinateur et attendre le chargement son contenu avant de débuter la moindre partie. À quoi bon travailler quand les résultats sont là?

La télévision s’est vite substituée aux nounous. J’étais le roi du pétrole car personne ne pouvait m’empêcher de la regarder. Je dévorais tout et n’importe quoi, des programmes pour enfants au ciné-club du vendredi soir sur FR3, en passant par les journaux, les émissions de variétés, les documentaires et les jeux. J’étais le maître du monde du fond de mon canapé. A dix ans, j’étais déjà devenu une ménagère de moins de cinquante ans, absorbant comme une éponge les messages publicitaires et toutes les autres sollicitations consuméristes déguisées. La petite lucarne était devenue mon principal pourvoyeur de culture car je lisais très peu et je n’écoutais jamais de musique. Le choix était plutôt restreint. Seules trois chaînes étaient à la disposition des aimables téléspectateurs.

Sédentarité et paresse m’ont rapidement transformé physiquement et intellectuellement. La petite tête blonde était devenue un gros cancre adipeux aux cheveux gras et à la peau à problèmes au fond de la classe, assis a côté du radiateur. S’il était certainement plus intéressant de regarder à travers les carreaux que de suivre les cours dispensés, il devenait urgent de réagir avant de terminer sur une voie de garage et d’être orienté en fin de cinquième en CAP manucure (je n’ai rien contre ce métier mais force est de constater que j’aurais fait un très mauvais expert de la cuticule). C’est pourquoi j’avais pris l’habitude de faire un ultime effort en fin d’année afin de me garantir un accès dans la classe supérieure. Ma vie ne changeait pas à l’extérieur de l’école. J’avais été responsabilisé de fait. Je devais m’occuper de moi en permanence, apprendre à gérer un budget, faire la cuisine et m’atteler aux taches ménagères diverses et variées. Une mini-Bree était en train d’éclore. Je commençais à être incollable en tensioactifs, agents blanchissants, adoucissants et je savais faire a tarte au citron comme personne. J’étais également hautement réceptif aux messages publicitaires et étais capable de me damner pour avoir en ma possession la dernière lessive à la mode. Allo Sigmund?

Mon problème vient donc de ma tendre enfance. J’arpente encore aujourd’hui avec délices les rayons produits ménagers des supermarchés. Je suis capable de passer des heures à choisir ma lessive ou les tablettes destinées au lave-vaisselle. Snooze apparente tout cela à un trouble obsessionnel compulsif (un de plus) et il a certainement raison. Même chose côté shampooing. Notre salle de bains regorge de produits capillaires. Il y en a pour toutes les occasions et toutes les longueurs. J’ai ainsi récemment trouvé mon bonheur en achetant des produits issus d’une firme allemande contenant de la poudre de diamant et de la fleur d’arum censés habiller instantanément chaque cheveux d’une brillance étincelante et d’une douceur exquise, tout en adoucissant et nourrissant la fibre capillaire. Je suis également friand de crème et j’adore jouer à la Barbie Dove Pétasse en passant des heures dans un bain moussant. La salle de bains devient mon quartier général. J’y installe une réserve de boissons chaudes ou froides, quelques bouquins, le journal du jour et mon ordinateur portable. Je suis capable de m’y enfermer des heures et ainsi me transformer en sharpei.

Récemment, je me suis fait une nouvelle fois avoir par un nouveau produit de beauté. Par pour moi, juste pour les cabinets que Bree van de Lucien Sampaix récure en poussant la chansonnette. Une grande compagnie lessivière propose ainsi de remplacer les affreux blocs en plastique par des bouses de gel autocollante. J’ai ainsi maculé ma cuvette de mini-méduses vertes, en total accord avec la couleur des cadres disposés au-dessus du réservoir et celle du papier toilette. Je me suis également permis d’apporter ma machine à bouses chez Bonum afin d’apporter une nouvelle touche de fraîcheur aux toilettes de mon agence.

Si un jour je suis viré de mon entreprise (crise oblige), je sais qu’une nouvelle vie m’attend: une vie de dame pipi tout en couleurs.


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