Progrès-dimanche
Arts Édito, dimanche 11 mai 2008, p. 48
Le monde où je vis
Famine, ouragans, inondations, volcans en éruption, appauvrissement des «faibles revenus», stagnation des «moyens» (hausse de $1 en 25 ans), et hyper enrichissement des riches (plus de 16% de leurs gains). Banques et compagnies pétrolières font des milliards de profits de plus que l’an dernier. A-t-on vraiment envie d’entendre parler des artistes ?
Prêtera-t-on une oreille attentive aux créateurs qui risquent une plainte parce que leurs revenus annuels est toujours moins de 20 000 $ ? Quelqu’un se demandera-t-il par quelle aberration les programmes d’aide à l’emplois pour les organismes culturels excluent toute personne qui en a déjà bénéficié sans égard à un minimum de sens des réalités ?
Mais encore
Il y a peu, à la télévision, j’entends une animatrice, saisie au vol d’une frénésie «zapping» qui m’est familière - la frénésie zapping et non l’animatrice - s’insurger contre la hausse du budget du Conseil des arts du Canada destiné à Patrimoine Canada : «Il y a bien plus important que de sauver des vieilles pierres» lança-t-elle, en évoquant les sans abris de Montréal. La citation n’est sans doute pas textuelle, mais dans l’esprit, le sens n’est pas trahi. Et son co-animateur de renchérir d’un hochement de tête significatif.
Et pourtant
La progression sociale d’une nation va de pair avec le développement de sa culture. À investir dans nos vieilles pierres, dans la sauvegarde de notre mémoire collective, dans le développement de l’expression de notre langue, de notre musique, de notre danse, de notre peinture, de nos sculptures, de notre architecture, c’est dans l’avenir que nous investissons, ainsi que dans la conscience de nos valeurs humaines. La voix de Marie-Nicole Lemieux ne ferait-elle pas plus et mieux pour notre reconnaissance internationale que la voix de nos mitraillettes (sont-elles nôtres)?
Si nous savions mieux protéger nos «vieilles pierres», qui sait? nous aurions peut-être l’intelligence de préserver nos richesses naturelles et nos fleurons industriels plutôt que de les brader au nom d’une mondialisation imposée par les maîtres du monde, si bien servis par les élus de notre utopique démocratie.
Des voix dans le désert ?
« Dans un monde confronté à des problèmes inédits à l’échelle planétaire, la créativité, l’imagination, la capacité d’adaptation que développe l’éducation artistique se révèlent être des compétences aussi importantes que la maîtrise technologique et scientifique pour les résoudre» a déclaré Koïchiro Matsuura, directeur général de l’UNESCO, lors de la séance de clôture de la Conférence mondiale sur l’éducation artistique : Développer les capacités créatives pour le XXIe siècle. «Il ne faut jamais perdre de vue trois objectifs majeurs de l’éducation si nous voulons nous attaquer aux questions principales du monde d’aujourd’hui, ajoute Sir Ken Robinson, conseiller principal à la Fondation J.Paul Getty de Los Angeles : comment vivre ensemble, cultiver une identité propre et favoriser la compréhension mutuelle?»
Selon l’UNESCO Les arts peuvent apporter beaucoup à la communication entre les cultures.
Le monde où je vis
Je vis dans un monde où il est «normal» que de milliers de personnes, abondamment stimulées par les médias, assistent à un spectacle sportif dans un immense salle sans cesse rénovée dont nul n’osera interroger le prix de sa construction et de son entretien, pas plus que du salaire des joueurs. Je vis dans un monde qui écoute du Mozart et du Molière, qui s’arrache à prix d’or les œuvres des Van Gogh et Marc-Aurèle Fortin, mais ne s’indigne ni s’étonne de la pauvreté de ces artistes d’hier et d’aujourd’hui. Je vis donc dans un monde où l’on sacrifie les terres fertiles pour des intérêts mercantiles.
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