Jouer à être morte ( texte de gballand )

Publié le 15 octobre 2008 par Mbbs

Etendue dans mon lit, je joue à être morte.* Non, ce n’est pas que je veuille mourir, mais je me demande à quoi ça ressemble la mort, je voudrais saisir le basculement, le moment où tout deviendra noir et le restera.
La dernière fois que j’ai joué à la morte, c’était il y a une semaine, et depuis ce jour-là, j’ai des angoisses. Il était 9 heures, il n’y avait personne dans la maison, juste moi. Je me suis allongée en laissant reposer mes mains sur mon ventre, comme d’habitude. J’ai fermé les yeux, j’ai respiré calmement pour attendre le moment où je pourrais me mettre en apnée et c’est là que le téléphone a sonné. J’étais décidée à attendre que ça s’arrête, mais ça ne s’arrêtait pas, alors je me suis levée rageusement et j’ai décroché en grognant un «  Allô ! » méchant. Personne n’a répondu. La deuxième fois j’ai presque hurlé « Allô ! » et là, j’ai entendu comme une voix d’outre-tombe qui m’a dit « Calmez-vous, maintenant vous avez tout votre temps, vous êtes morte. » J’ai balbutié un « Quoi, qu’est-ce que vous dites ? ». Et la voix a continué imperturbable « Vous avez l’éternité devant vous ! ». J’ai raccroché immédiatement. Je tremblais, j’avais la gorge nouée et je n’arrivais même plus à penser.
J’ai failli m’allonger à nouveau mais j’ai aussitôt changé d’avis. Il fallait que je parle à quelqu’un de toute urgence pour vérifier que j’étais bien  vivante. Comme une automate, j’ai sorti de l’armoire un vêtement que j’ai passé sur ma chemise de nuit, j’ai descendu les escaliers, j’ai mis les premières chaussures qui se trouvaient dans l’entrée, j’ai ouvert la porte et je suis sortie dans la rue comme une folle, même pas peignée, mon manteau enfilé à la va-vite. Puis, je me suis calmée et j’ai marché. Tout me semblait normal, mais figé. Il n’y avait ni voitures, ni piétons,  juste un homme, au loin. J’ai couru, mais à l’instant où j’allais le rattraper, il a disparu : où ? Je ne savais pas ! J’ai poursuivi ma marche dans les rues jusqu’à la préfecture. Je savais que là, il y avait toujours du monde. J’avais raison, un gardien se tenait devant l’entrée. En arrivant à sa hauteur, je lui ai demandé l’heure. J’ai dû lui répéter ma question – il semblait ne pas entendre – et là, il m’a regardée fixement et m’a répondu d’une voix neutre, comme l’aurait fait un robot.
- 9 h 30, madame, la préfecture est ouverte pour vos démarches.
J’ai failli l’embrasser, mais je ne l’ai pas fait, il n’aurait sans doute pas compris cet excès d’émotion. Je me suis contentée de le remercier chaleureusement et il m’a aussitôt dévisagée avec méfiance, mais peu m’importait, j’étais vivante, ou tout au moins, je le pensais.
Seulement, depuis ce jour-là, je regarde ma vie comme un animal apeuré…

* Cette phrase a été lue sur le blog de Coumarine, il y a fort longtemps. http://coumarine.canalblog.com/