Josyane Savigneau, Point de côté

Publié le 15 octobre 2008 par Cameron

Bien sûr, on m’a offert le livre de Josyane Savigneau Point de côté. J’écris « bien sûr », et je réalise presque aussitôt que ce bien sûr n’est pas du tout évident, qu’il mérite peut-être une explication. Je ne suis pas une grande lectrice du Monde des livres, mais j’en suis une tout de même, à ma façon. Parmi les journalistes qui y écrivent, il est peu de signatures que je reconnais sans avoir besoin de me reporter à la fin de l’article. Josyane Savigneau fait partie des deux, ou disons trois, « plumes » qui presque infailliblement me paraissent familières. Sûrement parce que la littérature dont elle parle me parle. Sûrement parce que quelque chose, dans sa manière d’envisager l’acte de lire ou en tous cas d’en rendre compte, rejoint certaines de mes préoccupations. Je ne sais pas très bien, en fait, mais peu importe. Le point essentiel est que oui, j’aime ses articles, et depuis longtemps.

Il était donc logique, je suppose, que l’on m’offre son livre. Et logique que je le lise avec curiosité. Je ne sais pas grand-chose de ce qui s’est passé au Monde des livres, au Monde tout court, ces dernières années. Je ne sais pas grand-chose de l’hostilité qui a visiblement entouré Josyane Savigneau, ni des règlements de comptes internes au milieu littéraire parisien. Pour être honnête, je vois plutôt le changement de direction comme un renouvellement, sans préjuger des conditions dans lesquelles il a pu s’effectuer. Tout cela est impossible à démêler pour une personne extérieure, il n’y a donc rien à dire sur la question. Ce qui m’intéresse davantage, c’est… le reste. L’essentiel du livre.

Si j’ai bien compris son propos, J. Savigneau a pris le parti de revenir sur sa trajectoire (oh, je déteste cette expression) pour mieux comprendre ce qui lui est arrivé, et surtout, la manière dont elle a vécu ce qui lui est arrivé. En ce qui me concerne, démarche égoïste de lecteur, j’ai lu son livre avec le désir inavoué d’y trouver des justifications au fait que j’aimais ses articles. Oui, bêtement, je voulais saisir pourquoi il me paraissait que nous avions les mêmes goûts. Bon, de fait, nous n’avons pas exactement les mêmes goûts, et il est très vain de s’interroger là-dessus, j’en ai parfaitement conscience. Mais après tout, son livre appelle me semble-t-il une lecture personnelle, intime, de son propre retour sur soi. Je trouve d’ailleurs que ce désir de légitimer ce que je percevais comme une correspondance résonne plutôt assez bien avec la volonté manifestée par l’auteur de combattre son sentiment d’être « déplacée ». Il est finalement question de culture légitime tout au long de son livre. De place dans le monde, et aussi de résistance au monde tel qu’il va.

Rien d’étonnant alors, que ce qui m’est le plus touché dans ce livre soit d’abord et avant tout l’esprit de résistance. Je l’ai vu non pas comme une philosophie de vie, mais comme un acte de survie indépendant de toute véritable théorisation, qui tient surtout de l’élan vital, du caractère, si l’on veut. Il s’agit de refuser, refuser les étiquettes, l’identification, le partage de soi, avec tout ce que cela comporte d’injustices envers l’entourage, et d’erreurs sur sa propre nature bien sûr. Parce que se proclamer seul juge de sa volonté exercée contre, c’est forcément faire preuve de dureté. Et c’est forcément aussi, n’accepter que difficilement, douloureusement, les remises en questions. Etre libre, je me suis longtemps demandée ce que cela signifiait vraiment, mais cette question a pris pour moi une saveur particulière lorsque j’ai réalisé à quel point j’avais bâti ma personnalité autour de cette volonté de n’appartenir à rien. J’ai lu le livre de J. Savigneau avec la vision déformée de ma propre expérience sans doute, mais je me suis retrouvée, un peu, dans ce qu’elle disait du farouche devoir d’exister par soi, sans renoncer à rien, et même en prenant. Même si je suppose qu’elle n’apprécierait pas l’usage du mot devoir dans ce contexte.

Les portraits d’écrivains qui jalonnent le livre sont comme un écho de cet appel à la liberté (un appel qui n’est en rien comminatoire, bien sûr, qui n’est surtout pas un engagement, ni une volonté de faire exemple, juste quelque chose qui est là). Alors voilà, est-il surprenant de voir J. Savigneau témoigner de sa dette envers Simone de Beauvoir ? D’admirer ce que fit Marguerite Yourcenar de sa propre liberté ? Non, bien sûr. Tout comme il me semble tellement logique et rationnel de découvrir sa déclaration d’amour à la ville, aux villes, tout comme il me paraît évident d’apprendre d’elle qu’elle a rêvé à ces écrivains et n’en revient toujours pas de les avoir rencontrés, avec plus ou moins de bonheur sans doute, mais toujours avec émerveillement. Je suis intriguée par son portrait de Philippe Sollers, que personnellement je n’aime pas ; je suis touchée par ceux de Françoise Verny et d’Eudora Welty, amusée par l’épreuve que semble être une entrevue avec Philip Roth. Bref, je suis en fait dans la position que J. Savigneau a elle-même connu lorsqu’adolescente, elle rêvait à ceux qui avaient eu la chance de côtoyer les écrivains qu’elle aimait. Il y a sans doute là pour elle, un sentiment de réalisation, sinon d’accomplissement. Il y a là pour moi, en tous cas, une source de justification à l’espèce d’admiration que j’ai toujours éprouvée envers elle. S’il était presque fatal que quelqu’un dans mon entourage ait tôt ou tard l’idée de m’offrir son livre, il ne l’était pas moins, finalement, que j’en aime la lecture.