Haaaaaaa

Début du Rosier de Julia

Haaaaaaa ! Ha ! Ha ! s’exclamait Jeanne. Déjà, des rêves s’organisaient dans son esprit échauffé par le vin et le champagne. Une île, quelque part, du soleil et le vent doux des alizés, la mer, à peine tiède, clapotant à ses pieds, un lointain idéal, sans soucis, sans tracas, Hermann, présent tous les jours, souriant, complaisant, amusant, Julia, mêlée à d’autres enfants, moins présente, moins sauvage, pour quelques jours, un peu de repos, une parenthèse, un souffle. Elle imaginait sa sœur Anna, son beau-frère Georges s’installer ici le temps des vacances. Deux, trois semaines, peut-être. Tout irait bien, avec eux. Elle le savait. Les paupières mi-closes, son regard devenait vague, lointain.

Julia, barbouillée de tiramisu, attendait la suite, la cuillère levée, immobile.
 
Alors, voilà ! C’est fête, ce soir, car j’ai obtenu une bien belle promotion, grâce à tous mes efforts. Et je voulais partager ce moment avec vous deux.

Ha ? s’étonna Jeanne. L’alcool, d’un coup, s’était évaporé. Son esprit redevenait clair, trop clair.

Oui, poursuivait Hermann, j’ai été nommé Directeur Général des Achats de l’ensemble du Groupe.

Ha !

C’est quoi, le Groupe, demandait Julia.

Le Groupe, c’est le Groupe qui m’emploie. Jusqu’ici, je n’étais que le Directeur d’une usine régionale. Maintenant, je deviens beaucoup plus important, vois-tu ?

Mais dis-moi, Hermann, le Groupe, commençait à vaguement comprendre Jeanne, son siège est à Paris, n’est-ce pas ?

Oui, à la Défense, plus exactement.

C’est quoi la Défense, demandait Julia, c’est le cimetière des éléphants ?

Mais non ! Et cesse de m’interrompre tout le temps, sinon je ne vais jamais réussir à vous expliquer quoi que ce soit ! La Défense, c’est le Business Center de Paris, l’endroit où tout homme rêve de poser son empreinte.

Mais comment tu feras ? Tu iras de temps en temps ? Un ou deux jours par semaines ? Je vais encore moins te voir qu’avant.

Mais non, ma chérie. Ce n’est pas du tout cela. Car, voyez-vous, j’ai bien négocié mon nouveau poste. Et je vous emmène avec moi !

Quoi ? S’exclamèrent de concert mère et fille. Mais ce n’est pas du tout possible.

Attendez ! Tout est prévu, vous allez voir. Nous disposerons d’un magnifique appartement de fonction de trois pièces, en plein Paris, rue Gai-Lussac, juste en face du Jardin du Luxembourg. N’est-ce pas merveilleux ?

Attends, attends Hermann, veux-tu ? Tu vas beaucoup trop vite, là. Laisse nous au moins le temps de réfléchir. Il y a peut-être d’autres postes intéressants dans la région. D’autre Groupes.

Non, tout est réglé, Jeanne. Nous partons à la fin du mois.

Mais ? Et la « Maison du Bonheur » ?

Tu sais comme moi que ta sœur Anna et son mari Georges seront ravis de la reprendre ! Depuis le temps qu’ils en rêvent...