Mardi soir 21 heures. Je rentre à peine du boulot. Je suis claqué. Comme toujours, Murphy m’a réservé plein de surprises dont je me serais bien passé. Il me reste 4 jours pour faire les cartons et trouver un acheteur pour la cuisine.
Arg, la rédac du mois. J’ai failli oublier.
Un dîner en tête à tête. (Si vous pouviez dîner quelques heures avec une personne (vivante) connue, du monde des arts, du sport, de la politique, … Qui serait cette personne ? Et surtout… quels sujets aimeriez-vous aborder ?)
Je me demande comment mes petits camarades vont s’en sortir ce mois-ci. Et vous? Allez faire un tour chez eux: Laurent, Noelia, Bergere, Bertrand, JvH, Hibiscus, Anne, Julien, Chantal, Looange, Jo Ann v, Cecfrombelgium, Julie70, Gazou, BlogBalso, Lydie, Lucile, Optensia, Joël, Linda, Denis, Julie, Le chat qui, Ckankonvaou, Asibella, Mariuccia, Brigetoun, Renée, Agnes, Laetitia, MissBrownie, Karmichette, Rikard, Pivoine Merlin, Sandrine, Adelaide, Andree, Orchidee, Laure, Virginie, A-So.
Bon un dîner. C’est une bonne idée en soi.
Je me dirige vers le frigo en quête d’inspiration. J’ouvre la porte pour découvrir que le niveau de mes provisions est en adéquation avec cette journée. Une bière sans alcool trône en maîtresse incontestée et solitaire sous la lumière diaphane. Bon le dîner, on oublie. J’ouvre mon ersatz de boisson et me jette sur le canapé.
Qu’écrire ? Je pourrais inviter un livreur de pizza et discuter avec lui des caractéristiques gustatives de l’Arcobaleno et de la Turtaffo. Mouais. Ce n’est pas avec ce genre de billets que je vais augmenter le nombre de mes lecteurs.
Inviter quelqu’un qui se chargera de préparer le dîner. Non correction : d’apporter le diner. Oui c’est mieux mais qui ? Il faudrait trouver une personne connue de tous avec qui je pourrais aborder des sujets polémiques. Et oui, l’une des méthodes éprouvées pour augmenter le nombre de ses lecteurs est d’aborder des sujets polémiques avec une touche de mauvaise foi. Qui a dit déjà que le 21ieme siècle serait spirituel ? Je vais inviter Dieu.
Je m’allonge sur le canapé, le regard vers le plafond.
« Hey le tenancier ultime, ça te dit une petite bouffe, genre BYOB (Bring Your Own Beer) et BYOF (Bring Your Own Food) ? »
Pathétique. Affalé sur le canapé avec une bière sans alcool en main. Bon il est temps de reprendre les choses les mains. Debout.
Je me dirige vers la cuisine en me demandant où se trouve ma bouteille de grappa quand l’interphone exige ma présence. Par reflexe, j’appuie sur les boutons d’ouverture du portail sans me donner la peine de décrocher. Bon je l’ai mise où, cette bouteille ? Ça sonne encore. Le gêneur est à ma porte. Merde. « Si si, aspetta ». J’ouvre.
Devant moi, Josiane Balasko. Enfin quelqu’un qui ressemble à la Balasko avec une cloppe au bec et une bouteille de Veuve Clicquot à la main.
Tiens une bouteille de Veuve à la main. Comment est-ce que Josiane sait que c’est mon champagne préféré ? N’importe quoi ! Faut vraiment que j’arrête la bière sans alcool.
Je m’apprête à flamber la porte quand je m’aperçois que l’apparition a déjà engagé toute une jambe dans l’embrasure.
« Minute, mon mignon »
J’hésite deux-trois secondes et je flambe la porte. Ce n’est pas de grappa dont j’ai besoin mais d’une aspirine et d’un lit. Je ne savais pas que la bière sans alcool pouvait causer des hallucinations. D’ailleurs, la porte est fermée et personne n’a hurlé.
« Parce que je le veux bien » dit une voix derrière mon dos.
Je me retourne pour voir la Balasko affalée sur mon canapé.
« Sympa ton canapé. Par contre la vue sur les caisses, c’est assez moche.
- Je déménage et le canapé est à vendre. Si ça te dit. »
Ça va pas du tout, moi. Laissons tomber l’aspirine. Je vais dans la cuisine et j’ouvre tous les placards à la recherche de la grappa. J’entends le pop d’une bouteille de champagne que l’on ouvre.
« Bon, c’est pas tout ça mais j’ai faim » et tout disparaît : les placards, la cuisine, mon appartement.
Je me retrouve assis devant une table recouverte d’une nappe de dentelle blanche. Devant moi, la plage. Derrière moi, une porte vitrée ouverte donne sur un petit salon où trône une table en bois d’ébène. Je suis sur une terrasse bordée d’un parapet en pierre ouvragée avec vue sur un couché de soleil à couper le souffle.
Mon hôtesse pose sur la table une carafe en cristal contenant un liquide plus noir que rubis. Elle murmure : « Le hors-d’œuvre de poulpes à la croque-au-sel parut fait de mer condensée, qu’ils fondaient à peine entrés dans la bouche. Les pâtes au noir de seiche pouvaient dignement rivaliser avec celles de Caló. Et dans le mélange de rougets, de bar et de daurade à la grille, le commissaire retrouva la saveur paradisiaque qu’il avait crue perdue pour toujours. »
En entendant ces mots, j’ai un déclic. Je porte la main sur mon crane. Oui sur mon crane, pas de cheveux dignes de ce nom. Sur mes joues, une barbe de trois jours. Je me retourne brusquement. Sur la table du salon je voie une photo d’une femme aux cheveux blonds ; Livia. Je me souviens. Elle doit arriver de Milan ce week-end. Merde. Montalbano sono !
Vigàta, je suis à Vigàta sur ma terrasse. Non sur sa terrasse. Sur la terrasse du commissaire Montalbano.
« Au début, ça fait bizarre mais après on s’habitue » dit Josiane en remplissant mon verre du Nero d’Avola que Mimì m’a ramené hier. « D’abord on mange et après on parle »
Ça me va. C’est comme ça que je conçois mes repas. D’ailleurs d’après Livia: « quando mangiava non rapriva bocca »
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« Tu voulais discuter, discutons !
- En fait, j’ai une seule question.
- Tant mieux, j’ai pas que ça à faire, fire at will.»
Comment formuler la question ? Comment poser la Grande Question sur la Vie, l’Univers et le Reste et ne pas entendre 42 comme réponse ? Bon je me lance :
« C’est quoi ce bordel ?
- Comment ça ?
- Ben ce bordel : les guerres, les famines, les glissements de terrain, la crise financière, la baisse du pouvoir d’achat, un président bling-bling. Toutes ces catastrophes quoi !
- Alors, déjà on se calme ou je garde le champagne pour moi et tu te retrouves au milieu de tes cartons dans ton appart vide. »
En regardant la bouteille de Veuve, je me dis qu’un petit verre vaut bien un petit peu de retenu.
« Que ce soit bien clair : pour les catastrophes naturelles, ok c’est moi. Mais pour le reste, l’Homme est assez grand pour se mettre dans la merde tout seul. Bon je l’ai un peu aidé au début. J’avoue: le libre arbitre, ce n’était pas la plus grande des idées. Ok, les idées du hippie ont eu des conséquences assez imprévisibles.
- Le hippie ?
- Oui, JC.
- Donc c’est la faute de l’Homme. S’il n’avait pas été créé, il ne se serait pas mis dans le pétrin.
- Il y a un peu de ça même si c’est un peu tordu comme raisonnement.
- Faut pas non plus me demander d’être lucide après une bouteille de vin sicilien. Comme tu as créé l’Homme, tu es responsable. Alors pourquoi l’homme ?
- Pourquoi ? T’as déjà essayé de discuter avec une amibe ? ou un dinosaure ?
- Alors c’est ça, sa divinité se sentait seule ?
- Quels sont les premiers mots de la Bible ? »
La Bible, je l’ai jamais lu moi. Pourtant je crois connaître les premiers mots. Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu.
« Et le Verbe s’emmerdait royal, tout seul comme un con.
- Hein ?
- Ben oui. Dieu créa l’homme à son image non ? Alors si toi tu peux t’ennuyer tout seul ben moi aussi. J’ai donc créé l’univers pour m’occuper.
- Pour t’occuper ?
- Oui au début. Mais rapidement ça été assez amusant.
- Comment ça ?
- Quand on crée un univers, on commence par créer des lois. C’est dans tous les manuels de cours Dieu 101. Et là ça devient amusant car on s’impose des règles à suivre. On ne peut pas faire n’importe quoi. C’est comme ce groupement littéraire qui dit qu’on ne peut écrire sans contrainte.
- Ouais. l’Oulipo, je connais. »
Dieu est évolutionniste ! J’y crois pas !!!
« Mais et l’histoire de la création d’Adam et la création du monde en 7 jours ? C’est des conneries.
- Non pas vraiment. Plutôt de la licence poétique, de la sémantique mais pas tout à fait. Par exemple, le coup de la création en sept jours, ça tient presque la route.
- Euh non je ne crois pas.
- Mais si. Comment on définit le temps ?
- …
- Jour. Nuit. Jour. Nuit.
- And so what ?
- Quand est-ce que j’ai crée le soleil ? Le troisième jour. Donc avant la création du soleil, le temps n’existait pas et le premier jour a très bien pu durer des milliards d’années. »
Bon je veux bien. Josiane s’emmerde et elle crée l’univers. Après, elle crée la vie, les bactos, les amibes et tutti quanti. Mais les dinosaures. Pourquoi les détruire ?
« Et les dinosaures ?
- Quoi les dinosaures ?
- Ben leur extinction ?
- Ils m’ennuyaient. Et puis quand tout va bien, on s’ennuie. Rien de mieux qu’une petite catastrophe pour mettre du piquant.
- L’entropie. Tout est affaire d’entropie. Le désordre c’est la vie. L’ordre c’est la mort.
- Exactement. D’où ma grande réussite : l’Homme. C’est vrai que le libre arbitre a des effets négatifs. Surtout en ce moment, où l’Homme joue à mon égal et a le pouvoir d’influencer le monde animal, le monde végétal et même le climat de la terre. Il a le pouvoir de se détruire. Mais mis à part ce petit inconvénient, c’est une grande réussite.
- Petit inconvénient ? Un petit inconvénient pour toi et un grand pour l’Humanité. En quoi est-ce une grande réussite?
- Ok je te montre »
D’un coup je me retrouve dans mon salon, assis sur le canapé, mon verre de champagne à la main. A ma droite, Josiane a allumé le rétroprojecteur et se branche sur la RAI. C’est l’heure du JT.
« Regarde. »
Et je regarde ; un meurtre à Naples, les banques anglaises qui appellent au secours le 10 Downing Street, notre cher président sortant une connerie plus grande que lui, la ménagère de 50 ans qui pleure devant son caddie vide.
« Je ne comprend pas.
- c’est pourtant simple. Depuis que j’ai inventé l’Homme et le libre arbitre, je ne m’ennuie plus. Il y a toujours quelque catastrophe quelque part et je n’ai rien à faire. Just relax and enjoy. »