Aujourd'hui, c'est la Journée Mondiale de l'Alimentation.
Alors bien sûr, je pourrais te pondre un billet engagé, dégoulinant de mobilisation tiers-mondiste, avec quelques citations de José Bové pour faire bonne mesure, la vieille scie "USA for
Africa" ou bien "Chanson pour l'Ethiopie" en fond sonore (de la variété de merde chantée par des millionaires en mal de bonne conscience, mais à l'époque, ça marchait plutôt bien),
quelques images d'enfants au ventre ballonné et de squelettes de vaches parsemant le désert, essayer de te tirer une ou deux larmiches en te disant que plus d'un milliard de personnes souffrent
de la faim, et terminer ma diatribe en hurlant, la bave aux lèvres, que si on peut injecter plusieurs centaines de milliards d'euros dans le système bancaire, on peut certainement mettre la main
à la poche pour aider les pays les plus pauvres à nourrir leurs populations.
Et je concluerais mon pamphlet sur cette vidéo, que tu vas voir en boucle sur Internet dans les heures qui viennent:
C'est beau, c'est efficace, c'est universel, c'est la misère en technicolor, il n'y manque
qu'une musique new-age de Deep Forest et on peut le refourguer à la prochaine conférence de Durban.
Va savoir pourquoi, c'est peut-être l'overdose de bons sentiments, le ras-le-bol alter-machin.
En tout cas, je ne me sens pas à l'aise dans la peau de la mère de famille bon teint qui demande à son gamin de terminer sa soupe "parce que les petits Éthiopiens, eux, ils aimeraient bien être à ta place, espèce de merdeux pourri-gâté, petit con sans morale, on voit que t'as pas connu le rationnement des années de guerre, quand tes grands-parents ne bouffaient même plus de viande, même si Papy trafiquait avec la Kommandantür, ça n'a aucun rapport, et puis merde, va voir ton père!".
Alors, cher lecteur, en ce jeudi 16 octobre 2008, pardonne-moi de ne pas me joindre à la saine et juste colère générale, c'est pas que je m'en tamponne, de ceux qui ont faim, c'est plutôt que je me souviens encore de la première chanson des "Enfoirés" pour les Restos du Coeur. Et figure-toi que le simple fait d'entendre des types comme Michel Drucker ânonner sur le disque "j'ai pas mauvaise conscience, ça m'empêche pas de dormir, mais pour tout dire, ça gâche un peu le goût de mes plaisirs", ben ça me fait tellement rigoler que j'en ai des crampes aux abdominaux, et comme tu sais que j'ai très peu d'abdominaux, ben ça se termine en longs spasmes douloureux, du coup je m'énerve, et on avance pas.
Donc, pendant que des journalistes célèbres, qui gagnent en un an l'équivalent du PIB du Burundi, te feront la leçon sur les ondes, à la télé, dans les journaux, pendant que José Bové te chantera son petit couplet écolo-gaucho avant de pondre un bouquin dont il négociera les droits d'auteur à prix d'or avec un éditeur de Saint-Germain-des-Prés, pendant que des associations indignées feront appel à ta générosité tout en balayant sous le tapis les quelques millions dont leur président a besoin pour retaper sa villa de Saint-Paul-de-Vence, pendant que mes amis bobos fumeront leur pétard 100% bio en fustigeant cette économie mondialisée pourrie et cet impérialisme américano-judéo-maçonnique dans le salon de leur cinq pièces à deux pas du Luxembourg en regardant le dernier discours du petit facteur et en écoutant la dernière bouse de Manu Chao, ben moi, je crois que j'irai au cinéma voir le dernier Woody Allen.
Et comme, en fin de compte, j'ai quand même envie d'illustrer ce billet par une séquence vidéo en rapport avec le sujet, je te propose celle-ci, parce que j'ai toujours pensé que l'humour grinçant valait tous les prêchis-prêchas grandiloquents.
Bonne fête de la bouffe à tout le monde.