Le ciel saigne blanc. Plantée dedans, la lune est un objet sans consistance, hallucination lumineuse et irradiante, point fixe de la pâleur à venir. Le ponton de bois a séché par vagues irrégulières, ici et là, l’humidité a reculé précipitamment, et c’est de cercles en cercles un reflux invisible qui est comme la marée de notre chagrin combattu à toutes forces.
Il fera beau, demain. Autrefois, ici-même, la lune était lune, et le ciel promesse muette, et l’odeur de l’océan rien d’autre que notre propre souffle devenu tout.
Rester là, c’est une manière de se dissoudre. Une manière de laisser corps et esprits effilocher leurs à peu près, leurs manques, leurs diaboliques contraintes sans cesse reconstruites. Le temps défait nos habitudes comme la mémoire trahit nos souvenirs, avec la même cruauté obstinée, et ce petit quelque chose qui est le ressort de la vie, qui est la source de l’oubli. La lune ici a été belle, autrefois. Je la vois encore.
Peut-être tout est-il affaire d’épaisseur. L’eau si chaude, et le très léger vent qui annonçait le jour, la lune même, décor de nos instants, sont devenus théâtre d’ombres. Théâtre où s’agitent nos ombres.
Il y a encore de nous, là-bas, un peu. Pour toujours.