La nuit se faisait jour. Pas l’alternance, non. Pas le passage de l’une à l’autre. La nuit se faisait jour comme l’amour quelquefois se fait jour. Comme une pensée se fait jour. Comme un désir. Comme une beauté. Une apparition dans le cosmos obscur où une bulle lumineuse s’éclaire par l’inversion d’un regard photographique dans son épreuve négative. Celle où les visages noirs sont blancs et où les visages blancs sont noirs.
Au centre de la zone incadastrable où le halot s’élargissait, se dressaient les vasques, les énormes silos, les armatures. Le ciel était d’un azur plus profond que le plus profond des désespoirs.
C’était la machine à bleu.
Lequel d’entre vous, apprenti rêveur ou docteur onirique causa, laquelle d’entre vous, fileuse de songes ou agrégée de l’être, qui parmi nous du simple rameur au puissant armateur, n’a pas passé ne serait-ce que quelques instants, généralement au fil de l’enfance, quant on a que ça à faire, à se demander d’où venait tout ce bleu où nagent nos solitudes et où folâtrent nos rares moment d’optimisme béat.
Il est vrai qu’à force d’avoir pu compulser des monceaux de magazine, d’avoir mirer des kilomètres de film plus ou moins truqués, d’avoir avaler des quantités industrielles de publicité mythomaniaque, une forme de réponse, bien sur fausse, archi fausse, a pu combler cette question pourtant si pertinente, d’un lieu commun définitif.
Le bleu ne vient de nulle part. Il faut seulement savoir que chacun doit tout faire pour y aller, à pied, à cheval, en avion, en bateau, car c’est là, uniquement là, que nous serons tous beaux, intelligents, performants, et amoureux.
Erreur grave !
Et j’en avais la preuve vivante devant moi.
Il n’y a qu’à voir tout le malheur qui persiste et se répand sans cesse sous des latitudes où le bleu est si fort que sa substance se fait métal et que le soleil qui y frappe le fait sonner à en écraser le vivant y compris des herbes les plus résistantes.
Oui la preuve était là. Evidemment la machine ne fonctionne que secrètement. Elle était inerte lorsque je l’ai vue. Cependant, en étudiant la place de chaque composant, sa solidarité avec les autres, le parcours des tubes, les bouches d’aciers, les tapis roulant pour transporter les matériaux, les moteurs, il n’était pas possible d’imaginer autre chose.
N’étant pas ingénieur je ne saurais détailler le mécanisme. Je pense que les matériaux sont amenés dans des chambres de distillation, après avoir été broyés parfois, selon leur texture, puis que d’autres circuits en alimente les grands cylindres soumis alors à diverses pressions ou élévations ou abaissement de température, cela doit dépendre des saisons, afin que le résultat de la transmutation puisse s’échapper des ouvertures à leurs sommets et se déverser dans les fond du toit de l’atmosphère.
Pour ce qui en est des matériaux, je n’ai vu que du sable. Pourtant certaines trace de résidu autour de la machine indiquait qu’une certaine diversité de ressource devait, ou pouvait intervenir.
Il y avait là, jonchant le sol, des plumes de tailles différentes, des lambeaux de cuir, un enjoliveur d’auto de luxe, une fiole de larmes millésimée sans son bouchon, les restes d’un catalogues d’agence de voyage, une manche de chemise blanche, une ballerine, une demi douzaine de touches de piano, une sandale usée, une tuile romaine, la moitié d’un poisson bariolé, une poignée de cheveux roux, la pochette d’un cd d’un chanteur inconnu, une chaîne avec une pince qui avait dû retenir un bijou, un pot de miel vide, un bouquet de tiges dont les roses et les épines avaient disparu, la spirale d’un carnet, un morceau de mosaïque, un pied de verre en cristal, un bout de couronne princière, la queue d’un chat, une dent en or, un œil de chair à l’iris gris, un flacon d’encre renversé, une bougie consumée, un éclat de miroir, une tête de papillon, un faux cil de girafe, un petit tas de soupirs, un itinéraire de délestage, etc, etc.
J’avais entamé un inventaire, et puis devant le capharnaüm que c’était je n’ai finalement retenu que ça.
La chose d’ailleurs la plus curieuse à ce sujet c’est que j’ai pu prendre les quelques photos qui agrémente cet article, photos de la machine, mais que toutes les photos que j’ai prises de ces objets ou de ces traces d’objets divers sont ratées.
On y voit que du sable.