Ce que les approches contemporaines en logique ont mis en valeur (je sors justement d’un séminaire de trois jours sur ces questions), c’est, entre autres choses l’intérêt des résultats… négatifs ! On s’est beaucoup intéressé jusqu’ici aux « vraies preuves », celles qui sont correctes, attestées et approuvées par une assemblée de mathématiciens (voire avec l’aide d’une machine, ainsi que cela s’est fait récemment à propos du théorème des quatre couleurs ), mais fallait-il jeter à la poubelle les « mauvaises » preuves, celles qui ne marchent pas, celles qui tiennent pour acquis un résultat intermédiaire, alors qu’il ne l’est pas ? Eh bien non, de tels objets ont une vie eux aussi, après tout. Ils interagissent avec d’autres essais de preuve et si, un jour, on veut obtenir une vraie preuve d’un résultat, peut-être aura-ce été justement en se servant de bouts de fausses preuves, de résultats partiels.
Et puis bien évidemment, démontrer qu’une preuve qu’on croyait juste était en réalité fausse, voilà qui peut nous permettre d’accéder à des conclusions insoupçonnées, bien plus riches peut-être que celles que le résultat positif attendu nous aurait permis d’atteindre. Les Grands Théorèmes sont souvent des résultats négatifs. On parle ainsi souvent du fameux théorème d’INCOMPLETUDE de Gödel.
Il existe un autre exemple fameux (ceci me vient de communications entendues à ces journées), c’est celui du problème des trois corps , que Poincaré avait un temps pensé avoir résolu (en réponse à un concours proposé à l’occasion de l’anniversaire du roi de Suède, en 1889). Il croyait avoir démontré le résultat suivant : tout système d’au moins trois corps soumis aux forces de gravitation réciproques, pourvu que deux des corps ne soient pas trop gros, évolue vers une situation d’équilibre. Il envoya ce résultat à la publication.
Il est des cas en revanche où l’on n’hésite pas à conserver des résultats faux, ainsi de ce « théorème » de Léon Walras , l’illustre fondateur de l’école marginaliste en économie, selon lequel si on laisse le marché « libre », on arrivera nécessairement à un équilibre global de l’économie. Si on
veut faire les choses rigoureusement, on s’aperçoit bien vite que ce problème n’est autre qu’une formulation équivalente, transposée à un autre domaine, du problème des trois corps. Autrement dit si ce théorème était vrai, le problème des trois corps aurait une solution, or Poincaré vient de dire que non, résultat : bien entendu, ce résultat est faux. Or c’est celui qu’on nous serine sans arrêt pour justifier le libéralisme économique. Conclusion : le libéralisme économique est faux, et les gens comme ce Nicolas Baverez qui clament que « le libéralisme n’est pas la cause mais la solution de la crise », nous bourrent le mou.