Longtemps, la France ne s’est pas contentée d’être un Etat-Nation. Peut-être par complexe de supériorité, peut-être par excès d’impérialisme génétique. Elle a voulu rayonner, militairement, culturellement, politiquement ou économiquement. Lafayette, Napoléon, Voltaire, les Lumières, Chopin, De Gaulle, Sartre, Picasso et bien d’autres, ont été les vecteurs ou les moteurs de cet universalisme. Français ou inspirés par la France, ils ont porté dans le monde entier leurs idées, leurs valeurs ou leur talent, en partie « au nom de la France ».
Mais De Gaulle mort en 1970, Picasso en 73, Malraux en 76 et Sartre en 80, que reste-t-il de cet élan ?
Peu de chose nous semble-t-il.
Culturellement, comme le disait le journaliste américain Donald Morrison dans un article provocateur paru dans le magazine américain TIME en décembre 2007 : “Qui peut citer le nom d’un artiste ou d’un écrivain français vivant qui ait une dimension internationale ?”. Antoine Compagnon, professeur au Collège de France et discipline de Roland Barthes, sollicité par les éditions Denoël pour « rectifier » les propos de Morrison, conclue sa « réponse » sur une note finalement concordante : « Au risque de nous froisser, Donald Morrison nous remet à notre place de puissance culturelle moyenne à l’échelle mondiale (…). Il nous rappelle à la réalité de l’isolement croissant des arts français sur la scène mondiale. ». Il faut dire que pour le seul genre littéraire, les écrivains français les plus traduits sont Jules Verne, George Simenon et Alexandre Dumas. Les Houellebecq, BHL, Nothomb et Angot ont beau se bousculer sur les plateaux télé, cela ne suffit pas à leur assurer un rayonnement universel. N’est pas Aragon, Foucaud ou Proust qui veut… Heureusement, il y a Le Clezio qui cache la forêt…
Politiquement aussi, la France a perdu de son influence mondiale. Même si De Gaulle fut marginalisé à Yalta, il sut imposer la France comme interlocuteur incontournable et original. La voie autonome qu’il imposa à la France entre les deux blocs aurait dû inspirer ses successeurs et les orienter vers la voie du non alignement, qui aurait permis à la France d’être aujourd’hui en position de force face aux pays émergeants. Mais De Gaulle retiré, ses successeurs ont tous brillé par leur incapacité, absolue ou relative, à donner une ligne politique internationale cohérente à la France. Et sans diplomatie cohérente, point de rôle central. Pompidou, VGE, Mitterrand ou Chirac ont loupé la plupart de leurs rendez-vous avec l’histoire. Et les gesticulations de Sarkozy n’arrangeront rien à l’affaire. Seul De Villepin nous fit croire au retour de la France, un certain 14 février 2003, depuis la tribune des Nations Unies.
Le redressement de l’Amérique latine des années 2000 s’est fait sans nous (alors que nous y étions très influents dans les années 70), l’émergence de l’Asie dans les années 90 s’est faite sans nous (alors que nous y étions présents jusqu’en 1955), le renouveau africain se fait sans nous (ou malgré nous) alors que nous avons de nombreux « amis » sur le continent noir, la montée en puissance du monde musulman se fait sans nous, alors que nous avions une « politique arabe » et que nous avons des liens privilégiés avec nombre de pays du bassin méditerranéen. Et lorsque nous nous projetons militairement sur un théâtre extérieur, comme aujourd’hui l’Afghanistan, nous envoyons nos piou-pioux en méharis décapotables armés de fusilsLebel et de gilets de chasse fluos (oui, je sais, je caricature).
L’élargissement de l’Europe, impulsé par la chute du Mur de Berlin (que Mitterrand n’avait pas vu venir et face auquel il est resté longtemps incrédule), consacre aussi la perte d’influence de la France au sein de l’UE. L’Allemagne réunifiée et les ex-satellites soviétiques amarrés redonnent à Berlin un lustre perdu à Versailles en 1919 et éloignent le barycentre européen de Paris. Et la fin de la Guerre Froide affaiblit le principal legs gaulliste en matière de politique extérieure : la dissuasion nucléaire. Adaptées à une logique de blocs, nos armes nucléaires semblent caduques face aux nouveaux enjeux stratégiques du XXIème siècle, surtout si elles passent sous commandement américain au sein de l’OTAN, comme l’envisage Sarkozy. La perte d’influence du Français comme langue de travail au sein de l’UE est un autre symbole de ce recul. Afin de contourner les lourdeurs générées par la cohabitation des 23 langues officielles, c’est désormais l’Anglais qui devient la langue de publication : en 96, 46% des documents produits par l’UE étaient publiés en Anglais, aujourd’hui, c’est près de 70%.
Et aujourd’hui, Nicolas Sarkozy veut élargir le Conseil de Sécurité et le G8 : si son argumentation a du sens, elle aura pour principale conséquence de diluer encore un peu plus l’influence tricolore sur ces deux « machins » qui parfois, jouent un certain rôle…
Sur la scène économique, le recul est lui aussi patent. En dix ans, la France a chuté du 4ème au 6ème rangmondial pour la puissance économique et du 7ème au 17ème pour la richesse per capita. Son principal fleuron industriel, l’aéronautique, passe progressivement sous contrôle allemand et après avoir perdu un tiers de ses emplois industriels entre 78 et 85, elle vient de rayer de la carte 500.000 emplois de 2002 à 2007. Certes, le système bancaire français semble résister un peu mieux que les systèmes américains, britanniques, belge ou hollandais, mais nos grandes banques peinent à peser sur la scène internationale. La crise actuelle leur donnera cependant peut-être l’occasion de profiter de l’inévitable redistribution des cartes qui en résultera.
Mais économiquement, c’est toute l’Europe qui recule. Malgré l’émergence d’une monnaie désormais puissante (25% des réserves de change mondiales seraient en Euros), l’économie continue à se faire, plus que jamais, à New-York, Shangaï, Moscou ou Mombai. Il est donc difficile de surnager. Ce qui est en revanche inquiétant face à l’avenir, c’est l’état de la Recherche : les dépenses en Recherche d’aujourd’hui étant les innovations de demain et les emplois d’après-demain, constater que les Etats-Unis y consacrent 1.100 dollars per capita, alors que la France est à 600, doit nous inquiéter quant au retard que nous accumulons « par avance sur l’avenir ».
Déclin de la France, déclin de l’Europe ? Peut-être plus largement, déclin de « l’homme blanc » comme titrait Le Monde dans un article paru le 28 juin dernier. Le centre du monde n’est plus à Paris, à Berlin, à New-York ou à Londres. Il est quelque part en Afrique, en Asie ou au Moyen-Orient, là où les richesses se produisent aujourd’hui et se consommeront demain. L’émergence des fonds souverains venue d’Asie ou du Golfe pour sauver nos banques traduit bien la nouvelle polarisation de notre planète.
Dans ce contexte, si la France peut encore servir à quelque chose, c’est certainement en ré explorant ses racines qu’elle le trouvera.
Le projet euro-méditerranéen de Sarkozy pourrait être une de ces nouvelles pistes. Mais à cause de son impulsivité et de son amateurisme sur les affaires internationales, il est désormais cornaqué sur ce dossier par la Commission Européenne et par les Allemands, qui feront tout pour que la mer accouche d’une souris.
Le discours de De Villepin de l’ONU pourrait aussi servir de socle à une nouvelle ambition française. Extrait de sa conclusion : « Dans ce temple des Nations Unies, nous sommes les gardiens d’un idéal, nous sommes les gardiens d’une conscience. La lourde responsabilité et l’immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix. Et c’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien, l’Europe, qui vous le dit aujourd’hui, qui a connu les guerres, l’occupation, la barbarie. Un pays qui n’oublie pas et qui sait tout ce qu’il doit aux combattants de la liberté venus d’Amérique et d’ailleurs. Et qui pourtant n’a cessé de se tenir debout face à l’Histoire et devant les hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à construire ensemble un monde meilleur. »
Au-delà du lyrisme propre à ce genre de figure imposée (peut-être un jour un discours de Guaino lu par De Villepin… ça devrait le faire…), le Héron cendré comme l’appelle Le Canard eut le mérite de replacer la France dans un rôle qu’elle n’aurait jamais dû quitter.
Le rôle de la France dans le monde, c’est avant tout un rôle autour des valeurs. Reste bien sûr à définir lesquelles.
Pas sûr que le congrès de Reims parvienne à ce niveau d’ambition. Et pas sûr du tout que Sarko puisse se hisser, avec sincérité, à ces hauteurs morales.